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L’IDÉE RÉPUBLICAINE ET DÉMOCRATIQUE

être héréditaire, que les trois pouvoirs doivent être séparés et distincts, que la liberté de la presse ne peut pas être restreinte, que le pouvoir militaire doit être exactement subordonné au pouvoir civil. Et il semblait que ce fût la réalisation même des théories françaises, la pensée de Mably, vivante et combattante. On juge quel fut l’enthousiasme des amis de la liberté, des patriotes français. C’est à partir de la révolution d’Amérique que leurs idées parurent réalisables et se propagèrent irrésistiblement[1]. La Fayette a appelé cela l’ère américaine[2]. Lui-même, à peine arrivé en Amérique, écrivait à un de ses amis en France : « J’ai toujours pensé qu’un roi était un être au moins inutile : il fait d’ici encore une bien plus triste figure[3]. » Dans sa maison de Paris, en 1783, il installa le tableau de la déclaration américaine des droits, avec une place vide à côté, attendant la déclaration des droits de la France, et il affecte de dire et d’écrire : Nous autres républicains[4]. « Dans les revues militaires de Louis XVI (écrivait-il en 1799), on voyait La Fayette portant l’uniforme américain, dont le baudrier, suivant un usage alors assez commun, était décoré d’un emblème au choix de chaque officier, et le monarque, lui en ayant demandé l’explication, reconnut que cet emblème était un arbre de la liberté planté sur une couronne et un sceptre brisé[5]. »

Oui, mais quand La Fayette quittait son uniforme américain, il redevenait monarchiste, et il ne croyait pas possible, nous l’avons déjà dit, d’établir la république en France. C’est que les Français les plus entichés d’américanisme voyaient très bien la différence entre les deux pays[6].

En Amérique, pas de féodalité, pas de passé encombrant : ces colonies anglaises étaient, en fait, des républiques sous des gouverneurs royaux. Elles chassent les gouverneurs[7], et les remplacent par des gouverneurs nommés par elles[8]. On ne pouvait guère dire de ces colo-

  1. Voir la Correspondance de La Fayette, pass., et les Mémoires historiques sur le XVIIIe siècle, par Garat, t. II, p. 319.
  2. On a lu plus haut (p. 19. n. 1) le mot de Mallet du Pan sur l’inoculation américaine. Chateaubriand a exprimé la même idée, quand il a parlé d’« une république d’un genre inconnu annonçant un changement dans l’esprit humain ». (Mémoires d’outre-tombe, éd. Biré, t. 1, p. 351.)
  3. Mémoires, éd. de Bruxelles, t. I. p. 405.
  4. Étienne Charavay, Le général La Fayette, p. 19. (Lettre du 19 juin 1777.)
  5. Mémoires, éd. de Bruxelles, t. II, p. 405.
  6. Mounier, dans ses Considérations sur le gouvernement (1789), p. 18, a bien expliqué ces différences et dit pourquoi les Français d’alors ne pouvaient songer à établir en France le système américain. Cependant le même Mounier, en 1792, dans Recherches sur les causes qui ont empêché les Français de devenir libres, t. I, p. 260, parla d’un parti qui « regardait les républiques fédératives des Américains comme le meilleur modèle », et devait, « s’il n’était pas possible de supprimer la royauté, la rendre inutile pour préparer sa destruction ». Il prétendit que ce parti avait un comité et une correspondance secrète, mais il ajouta qu’il en ignorait complètement l’existence avant la réunion des États généraux.
  7. Elles chassent aussi le parti royaliste, peut-être 80 000 personnes sur une population de deux millions d’habitants.
  8. D’ailleurs, il y avait au moins deux de ces colonies (Rhode-Island et Connecticut) qui, avant l’indépendance, nommaient déjà leurs gouverneurs.