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INFLUENCE DE L’AMÉRIQUE

Comités de salut public, des Comités de sûreté générale. Une partie du vocabulaire politique de notre révolution sera américain.

Ce qui importe surtout à l’histoire des idées républicaines, c’est que, vingt ans avant la Révolution, les Français éclairés avaient lu, soit dans le texte (car la connaissance de la langue anglaise était alors très répandue chez nous), soit dans une des nombreuses traductions françaises, les constitutions des nouveaux États-Unis.

Quelle impression la déclaration d’indépendance (4 juillet 1776) dut faire sur un Français lecteur de Mably et sujet d’un roi absolu ! Rappelons quelques-unes de ces formules célèbres :

« … Nous regardons comme incontestables et évidentes par elles-mêmes les vérités suivantes : que tous les hommes ont été créés égaux ; qu’ils ont été doués par le Créateur de certains droits inaliénables ; que parmi ces droits on peut placer au premier rang la vie, la liberté et la recherche du bonheur ; que, pour s’assurer la jouissance de ces droits, les hommes ont établi parmi eux des gouvernements dont la juste autorité émane du consentement des gouvernés ; que, toutes les fois qu’une forme de gouvernement quelconque devient destructrice de ces fins pour lesquelles elle a été établie, le peuple a le droit de la changer ou de l’abolir et d’instituer un nouveau gouvernement en établissant ses fondements sur les principes, et en organisant ses pouvoirs dans la forme qui lui paraîtra la plus propre à lui procurer la sûreté ou le bonheur. À la vérité, la prudence dira que, pour des motifs légers et des causes passagères, on ne doit pas changer des gouvernements établis depuis longtemps ; et aussi l’expérience de tous les temps a montré que les hommes sont plus disposés à souffrir, tant que les maux sont supportables, qu’à se faire droit à eux-mêmes en détruisant les formes auxquelles ils sont accoutumés. Mais lorsqu’une longue suite d’abus et d’usurpations, tendant invariablement au même but, montre évidemment le dessein de réduire un peuple sous le joug d’un despotisme absolu, ce peuple a le droit et il est de son devoir de renverser un pareil gouvernement, et de pourvoir par de nouvelles garanties à sa sûreté pour l’avenir. »

C’est la lecture de cette déclaration qui décida La Fayette à partir pour l’Amérique. Son cœur fut enrôlé, dit-il. Le cœur de la plupart des Français instruits, bourgeois ou nobles, fut enrôlé de même. Mirabeau dira dans ses Lettres de cachet (1782) : « Toute l’Europe a applaudi au sublime manifeste des États-Unis d’Amérique … Je demande si, sur les trente-deux princes de la troisième race, il n’y en a pas eu au delà des deux tiers qui se sont rendus beaucoup plus coupables envers leurs sujets que les rois de la Grande-Bretagne envers les colonies. »

Cette déclaration d’indépendance avait été précédée de la déclaration des droits du peuple de Virginie (1er juin 1776), qui est presque la future déclaration des droits français. On y lisait que toute autorité appartient au peuple et, par conséquent, émane de lui, qu’aucun droit ne peut