Page:Aulard - Histoire politique de la Révolution française.djvu/31

Cette page a été validée par deux contributeurs.
19
INFLUENCE DE L’AMÉRIQUE

qu’elle offre pour obtenir cet argent. On lui désobéit, on la bafoue, tout en l’aimant et en croyant pouvoir l’améliorer. La masse rurale ignore, souffre et se tait, presque partout. Dans les classes instruites, dans une partie de la noblesse, dans la bourgeoisie, dans le peuple des villes, c’est un mouvement de révolte presque général, et, grâce au Parlement, une anarchie presque générale. Tous ces révoltés veulent maintenir la royauté, et tous lui portent aveuglement des coups mortels. Ces Français, tous monarchistes, se républicanisent à leur insu[1].

V. L’Angleterre et l’Amérique influèrent sur l’élaboration des idées républicaines en France au XVIIIe siècle.

Tous les hommes cultivés étaient familiers avec l’histoire de l’Angleterre, et connaissaient tout ce qu’on pouvait connaître alors de l’histoire de la Révolution anglaise du XVIIe siècle, de la république d’Angleterre.

Mais ils voyaient qu’en somme cette république d’Angleterre, à l’établissement de laquelle Cromwell et la plupart des Anglais s’étaient difficilement résignés, ne s’était maintenue que par la terreur, et pour un temps assez court, et pour disparaître ensuite complètement[2]. Parmi les écrits des républicains anglais (souvent traduits en français et dont plusieurs furent réédités en 1763 par le radical anglais Th. Hollis), ils lisaient surtout Locke, qui eut tant d’influence sur les philosophes du XVIIIe siècle, et Sidney, dont le nom était populaire en France et cité sans cesse avec les noms des héros de Rome républicaine. Ils n’y trouvaient rien qui les engageât à renoncer décidément et aussitôt à la monarchie, mais plutôt le conseil de se conserver, d’un compromis entre les principes démocratiques de l’Agreement of people et le principe monarchique. Ils y trouvaient l’éloge de la monarchie constitutionnelle, représentative, limitée. C’est un compromis analogue qu’on était amené à désirer pour la France, bien que le régime parlementaire anglais fût peut-être moins à la mode chez nous, à voir comment il fonctionnait depuis l’avènement de George III.

L’Amérique contribua, d’une façon bien plus immédiate et bien plus

  1. En 1796, dans sa Correspondance politique pour servir à l’histoire du républicanisme français, Mallet du Pan écrit : « Ce serait une erreur de croire que l’esprit du républicanisme n’a germé en France que depuis la Révolution. L’indépendance des mœurs, le relâchement des devoirs, l’inconsistance de l’autorité, la fougue impétueuse des opinions dans un pays où l’irréflexion en fait sur le champ des préjugés, enfin l’inoculation américaine avaient infusé cet esprit dans toutes les classes qui raisonnent. La plupart des mécontents en France s’affichaient démocrates, ainsi que la plupart le sont aujourd’hui dans le reste de l’Europe. Le peuple seul restait étranger à cette effervescence. » (Cité dans les Mémoires de Mallet du Pan, éd. Sayous, t. I, p. 239.) C’est dans le même sens que Danton dira, à la tribune de la Convention, le 13 août 1793 : « La République était dans les esprits vingt ans au moins avant sa proclamation. »
  2. Voir les leçons de M. Seignobos sur la Révolution anglaise au XVIIe siècle, dans la Revue des cours et des conférences des 9 et 23 mars 1899.