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L’IDÉE RÉPUBLICAINE ET DÉMOCRATIQUE

raconterons pas les épisodes si connus de cette retentissante querelle, l’arrestation de Goislard et d’Éprémesnil, l’édit des grands bailliages et de la cour plénière, le lit de justice, la protestation du Parlement au nom des droits de la nation, les actes du roi déclarés « absurdes dans leurs combinaisons, despotiques dans leurs principes, tyranniques dans leurs effets », les actes de rigueur du roi, lettres de cachet, incarcérations, etc. Disons seulement que la royauté capitula par besoin d’argent, et cette dernière et éclatante victoire des Parlements, — qui vont bientôt se perdre dans l’opinion en réclamant, pour la convocation des États généraux, les formes féodales de 1614[1], — diminua aux yeux de la bourgeoisie (la masse rurale du peuple ne connut pas ces faits) le prestige de la royauté en tant que royauté[2], et c’est ainsi que les Parlements furent, au XVIIIe siècle, une école de républicanisme, au moins de républicanisme aristocratique[3].

IV. Ce rôle, je le répète, c’est bien malgré eux que les Parlements le jouèrent, car ils furent les adversaires de toute tentative sérieuse pour réformer l’ancien régime. Ils voulaient le statut quo à leur profit. S’ils préparèrent la Révolution et, indirectement, la République, ce n’est pas seulement parce qu’ils amoindrirent la royauté par le fait de leur désobéissance, c’est aussi parce qu’ils l’empêchèrent d’évoluer, de fonder des institutions nouvelles en rapport avec l’esprit du temps.

Ainsi ils s’opposèrent, autant qu’ils purent, à l’établissement des Assemblées provinciales.

L’importance de cet établissement, exagérée peut-être par quelques écrivains, comme Léonce de Lavergne, a cependant été réelle.

C’était une tentative pour transformer progressivement, sans révolution violente, le despotisme en monarchie constitutionnelle.

Appeler peu à peu la nation à participer au gouvernement, de manière à finir par établir, au moyen de changements presque insensibles, une sorte de gouvernement représentatif, c’était l’idée de Turgot, dont le roi ne voulut pas d’abord, parce qu’elle lui fut présentée dans un plan d’ensemble qui l’effraya précisément en ce que c’était un changement total, et que Necker et Brienne essayèrent plus tard de lui faire accepter partiellement, à titre d’expédient financier.

    l’original manuscrit des Arch. nat. Voir la revue la Révolution française, t. XXXIII, p. 371.

  1. Voir dans Buchez, t. I, p. 254, le pamphlet intitulé : le Catéchisme des parlements.
  2. Voir les Mémoires de Choudieu, édités par M. Barrucand, p. 8 et 9.
  3. Le 24 septembre 1788, l’avocat général Séguier disait des Parlements : « On les a présentés comme des corps républicains, qui affectent l’indépendance ; on les a peints, à la face de la nation, comme des ambitieux qui cherchent à établir l’aristocratie dans le sein de l’aristocratie française. » Il proteste contre cette accusation, mais, en la formulant ainsi, il caractérise bien le genre d’impression que l’opposition parlementaire faisait sur les esprits. — Il faut lire aussi ce que Chateaubriand dit de l’influence des parlements, dans les Mémoires d’outre-tombe, éd. Biré, t. I, p. 236-237.