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OPPOSITION DES PARLEMENTS

par ce droit que les lois protégeassent les citoyens contre ce qu’on veut appeler les voies irrégulières du pouvoir absolu. Tous les sujets du roi, en général et en particulier, reposent entre ses mains à l’abri de son autorité royale, dont il sait que l’esprit de justice et de raison doit être inséparable, et lorsque, dans cet esprit, il use au besoin du pouvoir absolu qui lui appartient, ce n’est rien moins qu’une voie qu’on puisse suivre. »

Le Parlement, tout en maintenant ses griefs, en réitérant ses remontrances, en continuant à parler du « droit de la nation », qui est que les lois soient exécutées, répondit au roi qu’il était parfaitement d’accord avec lui sur la définition du pouvoir royal. Le Parlement, dit-il, « n’a jamais cessé et ne cessera jamais d’annoncer à vos peuples que le gouvernement est l’attribut de la souveraineté, que toute autorité du commandement réside dans la main du souverain, que vous en êtes, Sire, le principe, la source et le dispensateur, que le pouvoir législatif est un droit essentiel, incommunicable, concentré dans votre personne, et que vous ne tenez, Sire, que de votre couronne ; que c’est au même titre que vous possédez l’universalité, la plénitude et l’indivisibilité de l’autorité[1]. »

Ces principes admis et proclamés, le Parlement n’en est que plus ardent à mettre en échec l’autorité royale, et cette querelle a une grande influence sur les esprits, parce qu’elle est publique, à une époque où il n’y a ni tribune politique ni journaux politiques. Les remontrances sont imprimées, mises en vente, répandues partout. On les lit avec avidité dans les villes. On admire l’éloquence « romaine » du Parlement. Il est populaire, quoique rétrograde souvent, quoique hostile aux philosophes, égoïstement épris de ses privilèges. Quand le roi le suspend, l’exile ou veut le détruire, les villes prennent fait et cause pour lui : il y a des émeutes ; la troupe intervient ; à plusieurs reprises, et en particulier lors de l’affaire du Parlement Maupeou, il semble qu’une révolution soit sur le point d’éclater.

Le Parlement ne se borne point à des paroles hardies ; il désobéit formellement, surtout dans la dernière querelle (1787-1788), où il déclare nuls et illégaux des actes de l’autorité royale, et où, menacé de suppression, ses membres jurent de n’accepter aucune place dans aucune compagnie qui ne serait pas le Parlement lui-même. C’est comme une ébauche anticipée du serment du Jeu de Paume. Le même jour (3 mai 1788), sous prétexte de définir les principes de la monarchie, le Parlement traça un plan de Constitution où les États généraux voteraient les subsides, tandis que les cours auraient le droit de vérifier, dans chaque province, les volontés du roi, et de n’en ordonner l’enregistrement qu’autant qu’elles seraient conformes aux lois constitutives de la province, ainsi qu’aux lois fondamentales de l’État[2]. Nous ne

  1. Flammermont, Remontrances, t. II, p. 194.
  2. M. Carré a donné le texte de cette partie de l’arrêt du Parlement d’après