Page:Aulard - Histoire politique de la Révolution française.djvu/26

Cette page a été validée par deux contributeurs.
14
L’IDÉE RÉPUBLICAINE ET DÉMOCRATIQUE

À partir de la publication des Lettres historiques de Lepaige (1753), le Parlement de Paris se vante d’être l’héritier des assemblées mérovingiennes, appelées parlamentum dans les anciens textes. Il se fédère avec les autres Parlements, ou plutôt il assure qu’il n’y a qu’un Parlement distribué en classes ; il proclame l’unité, l’indivisibilité du Parlement. Le Parlement, c’est un gouvernement national tout formé, c’est le sénat national, et le premier président aimait à prendre l’attitude d’un chef de sénat qui eût tenu son pouvoir, dit d’Argenson, « non du roi, mais de la nation ». À l’égard du pouvoir royal, d’agent de ce pouvoir, il a passé au rôle de censeur, de régulateur, d’interprète de l’opinion. Et, en tant qu’il combat le despotisme ministériel, il interprète vraiment l’opinion de la bourgeoisie et d’une partie de la noblesse, contre lesquelles ou sans lesquelles le roi ne peut gouverner.

Voilà pourquoi cette opposition est si forte ; voilà pourquoi elle inquiète, exaspère le roi, ne peut être brisée par lui. Deux fois Louis XV, une fois Louis XVI essayent de remplacer les Parlements par d’autres corps plus dociles : c’est un triple échec ; la royauté est obligée de céder, de se désavouer, de rappeler les Parlements.

Certes, le Parlement n’est pas hostile à la royauté. Il est, contre la cour de Rome, le défenseur des droits de la couronne et des « libertés » de l’église gallicane. Et il n’est pas non plus hostile à la religion, qu’il protège par des arrêts contre les philosophes. Mais il nuit au prestige de la religion par la rudesse avec laquelle il traite parfois le clergé, par exemple quand, en 1756, il fait brûler en place de Grève un mandement de l’archevêque de Paris, ou quand il force les curés à administrer les sacrements aux jansénistes. Il nuit au prestige de la royauté, non seulement par les mesures qu’il prend contre le despotisme royal, mais aussi par le zèle même avec lequel il sert, contre la volonté ou la faiblesse du roi, les intérêts de la couronne menacés par l’Église dans toute cette affaire du jansénisme et de la bulle Unigenitus. Lui qui ne veut que fortifier le pouvoir royal, il donne le spectacle d’une anarchie politique.

Entre la couronne et le Parlement, il n’y a pas de querelle ni de désaccord sur le fond des choses, et le Parlement n’entend changer en rien la nature du pouvoir royal. Qu’on se rappelle l’affaire du Parlement de Besançon (1759), dont une partie des membres avaient été exilés, et les remontrances si vives où le Parlement de Paris parla, à cette occasion, des droits de la nation avec des formules presque républicaines. Ce fut un dialogue solennel entre la couronne et le Parlement sur la nature du pouvoir royal. Le roi dit au Parlement, et ces paroles furent publiées dans un numéro spécial de la Gazette[1] : « On y parle (dans les remontrances) du droit de la nation comme s’il était distingué des lois dont le roi est la source et le principe, et que ce fût

  1. No 15, du 11 avril 1759. — Bibl. nat., Lc 2/1, in-4.