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il savait bien qu’il se ferait applaudir. Et si on m’objecte que cette tragédie ne fut pas représentée, que ces vers ne furent pas réellement entendus d’un public de théâtre, je citerai ce vers des Trois sultanes de Favart, comédie représentée aux Italiens sous Louis XV, le 9 avril 1761, avec un grand succès :

Tout citoyen est roi sous un roi citoyen.

Que de telles maximes fussent applaudies au théâtre, près de trente ans avant la Révolution, que le gouvernement fut obligé de les tolérer, n’est-ce pas une preuve que l’opinion avait déjà, pour ainsi dire, dépouillé le roi et la royauté du principe mystique de sa souveraineté ? Et cette idée du roi citoyen, unanimement applaudie, n’est-ce pas un des signes les plus éclatants de la républicanisation des esprits ?

III. Tous ces écrivains dont je viens de parler, morts ou vivants, sont plutôt les interprètes que les auteurs d’un état d’esprit qui se manifesta, dès le milieu du XVIIIe siècle, parmi les personnes cultivées. Ce sont les fautes et les vices de Louis XV qui amenèrent l’opinion dirigeante, vers 1750, à critiquer librement la monarchie. À cette époque surtout, d’Argenson note sur son journal une certaine expansion des idées républicaines[1]. La littérature reçoit ces idées républicaines de la société et les lui rend embellies et fortifiées.

L’irrévérence envers la royauté vint du spectacle de la faiblesse de la royauté, et cette faiblesse parut surtout dans la querelle de la couronne et des Parlements, dont les esprits furent bien plus frappés que par les livres des penseurs.

On sait que Louis XIV avait réglementé le droit de remontrance, de manière à le rendre illusoire, impraticable. Le régent supprima cette réglementation, et le Parlement de Paris redevint le chef de chœur de l’opposition. Ce Parlement qui, en fait, se recrutait presque entièrement lui-même ou par hérédité dans la bourgeoisie riche, se trouvait être, quoiqu’il comptât parmi ses membres de droit tant de gentilshommes de la plus haute noblesse, la représentation de la bourgeoisie. Les membres bourgeois du Parlement sont chrétiens et monarchistes, évidemment ; mais chrétiens à leur façon, c’est-à-dire jansénistes ou gallicans, et monarchistes à leur façon, c’est-à-dire qu’ils veulent que le prince gouverne selon des lois enregistrées par eux et dont ils prétendent être les gardiens et les interprètes. Ils tiennent ou disent tenir la place des États généraux, se font les avocats de la nation auprès du roi.

  1. 30 janvier 1750 : « Le républicanisme gagne chaque jour les esprits philosophiques. On prend en horreur le monarchisme par démonstration. » Et plus tard : « On entend murmurer les mots de liberté, de républicanisme. Déjà les esprits en sont pénétrés… Il se peut qu’une nouvelle forme de gouvernement soit déjà conçue en de certaines têtes… » (D’Argenson, édit. Jannet, t. III, p. 313, et t. V, p. 346, 348.)