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goûté, contribua à honorer la république[1]. Quant aux écrivains qui vivaient et se faisaient lire en 1789, comme Raynal, Condorcet, Mirabeau, Siéyès, d’Antraigues, Cérutti, Meunier, il suffira de dire qu’eux aussi, ces monarchistes, ils ruinent indirectement le principe de la monarchie, et préparent ainsi, sans le vouloir et sans le savoir, la République, puisque la plupart de leurs lecteurs trouvent dans leurs écrits ou en dégagent cette idée que la loi ne peut être que l’énonciation de la volonté générale[2].

L’idée que le roi ne doit être qu’un citoyen soumis à la loi, faisant exécuter la loi, cette idée est devenue populaire, et les preuves de cette popularité sont innombrables. Quand Voltaire écrivit, dans sa tragédie de Don Pèdre (1775) :

Un roi n’est plus qu’un homme avec un titre auguste,
Premier sujet des lois, et forcé d’être juste.

  1. Insistons sur cet écrit de d’Argenson, qui eut une très grande influence. Le but de l’auteur est donc de fortifier la monarchie, en y introduisant « le bon des républiques ». « On trouvera, dit-il,… que tout ce qui fait le bon des républiques augmente l’autorité du monarque, au lieu de l’attaquer en rien (p. 289). » Il ne s’agit pas de diminuer l’autorité législative du monarque, mais de l’aider. Qu’au lieu de tout faire par des officiers royaux, il fasse certaines choses par des officiers publics. « Il faudrait essayer d’admettre davantage le public dans le gouvernement du public, et voir ce qui en résulterait (p. 255). » Pas d’États généraux ni d’Assemblées provinciales : ce serait dangereux pour la royauté. C’est seulement dans les communautés qu’on introduirait des magistrats populaires et municipaux (p. 207), ainsi élus : la communauté désignerait des candidats aux fonctions, et les intendants et subdélégués choisiraient des fonctionnaires parmi ces candidats (c’était un peu le système de l’an VIII). On divisera le royaume en départements (sic), plus petits que les généralités (p. 237). C’est dans cette mesure que d’Argenson fait l’éloge des républiques, et par exemple il loue avec enthousiasme (p. 60) la république hollandaise, qu’il appelle « purement démocratique ». Ailleurs (p. 62), il s’exprime en ces termes remarquables : « Que l’on voyage dans les lieux où une république avoisine un état monarchique ; il se trouve toujours des enclaves par où ces souverainetés sont mêlées ensemble : on connaîtra aisément les terres de la république et quelles sont celles de la monarchie, par le bon état des ouvrages publics, même des héritages particuliers ; ceux-ci sont négligés : ceux-là sont peignés et florissants. » Les mêmes idées se trouvent exprimées aussi en différents passages du Journal de d’Argenson, par exemple t. III, p. 313 (éd. Jannet ; ce passage a été omis dans l’éd. Rathery).
  2. Voici comment Condorcet, dans ses Réflexions sur les pouvoirs et instructions à donner par les provinces à leurs députés aux États généraux, explique ce que sera le pouvoir royal dans la monarchie qu’il désire : « La société est… exclusivement et éminemment gouvernante d’elle-même. Elle a le droit de rejeter tout pouvoir qui ne viendrait pas d’elle : elle crée, modifie les lois qu’il lui importe d’observer, et elle en confie l’exécution à un ou plusieurs de ses membres. En France, depuis l’origine de notre Constitution, ce pouvoir est remis entre les mains du prince. Sa personne est sacrée, parce que son autorité est légitime et qu’elle est dépositaire de toutes les forces des citoyens pour faire exécuter les lois. Ainsi dans notre monarchie, la nation déclare la volonté générale ; la volonté générale fait la loi. La loi fait le prince et le pouvoir exécutif. Le pouvoir exécutif fait observer la loi et se meut suivant les lois. » — Mounier, dans ses Considérations (1789), dit que toute autorité vient de la nation, qui fait ses lois par ses représentants. Un seul exécute ces lois : il faut que ce soit un seul, et, pour qu’il soit fort, il doit être héréditaire.