Page:Aulard - Histoire politique de la Révolution française.djvu/22

Cette page a été validée par deux contributeurs.

n’oublions pas que Brutus (1730) est une tragédie républicaine, qui, comme telle, sera reprise avec enthousiasme sous la République. Aussi monarchiste que Montesquieu, Voltaire ne contribue pas moins que lui à honorer ce système républicain dont il n’était pas partisan pour la France.

D’autre part, les attaques de Voltaire contre la religion chrétienne, son rationalisme militant, l’influence qu’il eut sur la société polie d’alors, au point de la détacher en partie de la religion, voilà sa principale contribution à l’élaboration des idées républicaines : au bruit de ses sarcasmes, l’église chancelle, et le trône chancelle avec l’église.

Il n’est pas démocrate, et il est bien possible qu’il aurait eu horreur de l’avènement de la démocratie. Mais personne n’a popularisé autant que lui l’idée que les hommes doivent se conduire par la raison, et non d’après une autorité mystique, et cette idée est l’essence même de la république[1].

Jean-Jacques Rousseau avait dit, dans le Contrat social, « qu’en général le gouvernement démocratique convient aux petits États, l’aristocratique aux médiocres, et le monarchique aux grands ». Il avait dit aussi « qu’il n’y a pas de gouvernement si sujet aux guerres civiles et aux agitations intestines que le démocratique ou populaire », et que, « s’il y avait un peuple de dieux, il se gouvernerait démocratiquement : un gouvernement si parfait ne convient pas à des hommes ». Mais il avait préparé la ruine du système monarchique, en disant que « les deux objets principaux de tout système de législation devaient être la liberté et l’égalité ». Réservé et prudent dans ses théories, il avait, par sa conduite, par ses discours et écrits romanesques, prêché la révolte, au nom de la nature, contre l’artificiel et vicieux système social d’alors,

  1. Quand la république eut été établie en France, Voltaire fut considéré comme un des précurseurs de cette forme de gouvernement. Dans la séance du Conseil des Cinq-Cents du 18 floréal an IV, on entendit le député Hardy déclarer « que Voltaire est le premier fondateur de la république ». Le journal qui relate ce propos, le Courrier républicain du 19 floréal an IV (Bibl. nat., Lc 2/800, in-8), ajoute que cette déclaration provoqua des éclats de rire : mais ce Courrier n’était républicain que de nom, et ce sont sans doute des royalistes masqués qui rirent de la phrase de Hardy, si conforme à la reconnaissance qu’éprouvaient les républicains pour l’auteur de Brutus. On trouverait même avant la république des écrivains qui considéraient Voltaire comme républicain. Ainsi, à propos de la réaction qui suivit la journée du 17 juillet 1791, les Révolutions de Paris disaient : « … Oui, Voltaire serait pendu, car il était républicain. » (No 113, du 3 au 10 septembre 1791, t. IX, p. 431.) — L’influence de Voltaire sur la Révolution en général est un des faits qui ont été proclamés le plus souvent par la Révolution même. Par exemple, en 1791, Gudin de la Brenellerie, dans sa Réponse d’un ami des grands hommes aux envieux de la gloire de Voltaire (Bibl. nat., Ln 27/20804, in-8), à propos du transfert des cendres de Voltaire au Panthéon, s’exprima ainsi : « Il a fait comme le peuple français : il a pris la Bastille avant de poser les fondements de la Constitution. Car s’il n’avait pas renversé toutes les forteresses de la stupidité, s’il n’avait pas brisé toutes les chaînes qui garrottent notre intelligence, jamais, jamais nous n’aurions pu nous élever aux grandes idées que nous avons aujourd’hui. » Et plus loin : « Père de la liberté de penser, il est le père de la liberté politique, qui n’eût point existé sans elle. »