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peut-être pour punir l’ambition des hommes, il permit qu’il s’élevât de grands empires, des rois et des maîtres. » Mais ce beau début était suivi par les conclusions les plus monarchiques (et demain, faisant volte-face, d’Antraigues sera un aristocrate décidé). Un autre pamphlet, le Bon sens, anonyme, mais qu’on sut être l’œuvre de Kersaint, futur conventionnel, parut républicain. En voici la phrase la plus hardie : « Un roi peut-il exister avec un bon gouvernement ? Oui ; mais, avec plus de vertus, les hommes n’en auraient pas besoin[1] » Cela ne revient-il pas à dire que les Français de 1789 n’étaient pas mûrs pour la république ?

Même les hommes qui fonderont et organiseront la république en 1792, Robespierre, Saint-Just, Vergniaud, Danton, Brissot, Collot d’Herbois, les plus célèbres des futurs conventionnels, étaient alors monarchistes.

On cite La Fayette comme le type du républicain français avant la Révolution. Sans doute, la révolution américaine l’avait « républicanisé » et il souhaitait vaguement, sans le dire en public,[2], qu’un jour, fort tard, la France adoptât le système politique des États-Unis. Mais en 1789, comme en 1830, il se fit le patron de la royauté, et, de tous les Français, c’est peut-être celui qui contribuera le plus à retarder l’avènement de la République dans notre pays.

Et Camille Desmoulins ? Il écrivit en 1793 : « Nous n’étions peut-être pas à Paris dix républicains le 12 juillet 1789…[3] » Cela revient à dire : « J’étais républicain avant la prise de la Bastille, et presque seul de mon avis. » Eh bien, Camille Desmoulins, pendant les élections aux

  1. 1. Le Bon sens, par un gentilhomme breton, s.l., 1788, in-4. Bibl. nat., Lb39/751.
  2. Je dois dire qu’il y a un texte qui semble contredire cette assertion. Sous le Directoire, en l’an VI, lors d’un procès intenté à Durand-Maillane, on trouva dans les papiers de cet homme politique la note suivante, à propos de La Fayette (note publiée alors par plusieurs journaux, par exemple par l’Ami des Lois du 19 germinal an VI, Bibl. nat.. Lc2/876, in-4) : « Tous ceux qui ont été en Amérique avec lui déposeront qu’ils lui ont entendu dire publiquement et plus d’une fois : Quand est-ce donc que je me verrai le Washington de la France ? Il voulait en faire une république fédérative. » En admettant même que La Fayette ait réellement dit qu’il souhaitait d’être le Washington de la France, il n’est pas du tout prouvé qu’il ait dit en même temps qu’il en voulait faire une république fédérative, ni une république quelconque. Être un Washington sous Louis XVI, voilà le rêve qui ressort plutôt des actes, des paroles, des écrits authentiques de La Fayette, et en cela il était d’accord avec Washington lui-même, qui vit d’un mauvais œil, ainsi que beaucoup d’Américains, la destruction de la royauté en France. En tout cas, malgré le témoignage indirect et tardif de Durand-Maillane, je ne crois pas qu’on puisse citer un seul propos authentique de La Fayette où il ait exprimé le dessein d’établir réellement et alors la république en France.
  3. Fragments de l’histoire secrète de la révolution, réimprimé dans les Œuvres, éd. Jules Claretie, t. I, p. 309. Camille Desmoulins ajoute en note : « Ces républicains étaient, la plupart, des jeunes gens, qui, nourris de la lecture de Cicéron dans les collèges, s’y étaient passionnés pour la liberté. On nous élevait dans les idées de Rome et d’Athènes, et dans la fierté de la république, pour vivre dans l’abjection de la monarchie et sous le règne des Claude et des Vitellius. Gouvernement insensé, qui croyait que nous pouvions nous enthousiasmer pour les pères de la patrie du Capitole, sans prendre en horreur les mangeurs d’hommes de Versailles, et admirer le passé sans condamner le présent, ulteriora mirari, praesentia secutura. »