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L’IDÉE RÉPUBLICAINE ET DÉMOCRATIQUE

que la démocratie et la république étaient sorties tout organisées de la philosophie du XVIIIe siècle, des livres des encyclopédistes, de la doctrine des précurseurs de la Révolution. Voyons si les faits et les textes justifient ces assertions.

I Un premier fait, et il est considérable, c’est qu’en 1789, au moment de la convocation des États généraux, il n’y avait pas en France de parti républicain.

Le meilleur témoignage sur l’opinion des Français d’alors, ce sont à coup sûr ces cahiers où ils consignèrent leurs doléances et leurs vœux. Nous avons beaucoup de ces textes, divers de nature, divers d’origine : dans aucun la république n’est demandée, ni même un changement de dynastie[1]; dans aucun il ne se rencontre (si je les ai bien lus) aucune critique, même indirecte, de la conduite du roi. Les maux dont on se plaint, nul ne songe les attribuer à la royauté ou même au roi. Dans tous les cahiers, les Français font paraître un ardent royalisme, un ardent dévouement à la personne de Louis XVI. Surtout dans les cahiers du premier degré ou cahiers des paroisses, plus populaires, c’est un cri de confiance, d’amour, de gratitude. Notre bon roi ! Le roi notre père ! Voilà comment s’expriment les ouvriers et les paysans. La noblesse et le clergé, moins naïvement enthousiastes, se montrent aussi royalistes[2].

Il est bien peu de Français, même éclairés, même frondeurs, même philosophes, qui ne se sentent pas émus en approchant du roi et à qui la vue de la personne royale ne donne pas un éblouissement. On jugera mieux l’intensité de ce sentiment à voir combien il était encore général et fort au début de la Révolution, alors que le peuple était déjà victorieux et que la mauvaise volonté de Louis XVI aurait dû le dépopulariser. Le 15 juillet 1789, quand le roi se rendit dans la salle de l’Assemblée nationale, sa présence excita un enthousiasme délirant, et un témoin oculaire, le futur conventionnel Thibaudeau, décrit ainsi cet enthousiasme : « On ne se possédait plus. L’exaltation était à son

  1. Cependant, on lit dans les Mémoires de Beugnot (éd. de 1866, t. 1er, p.116) : « Le rédacteur (du cahier d’une commune voisine de Châteauvillain) terminait par cette formule insolente : « Dans le cas où le seigneur roi refuserait, le déroiter. » En admettant qu’il faille accepter l’assertion de Beugnot, dont la mémoire n’est pas toujours fidèle, il résulte de son récit même que ce cahier était unique en son genre.
  2. L’abbé Maury écrivait à Necker, le 19 mars 1789, que le duc d’Orléans, dans ses Instructions, avait dénoncé le roi aux trois ordres comme leur ennemi commun (cf. Brette, Convocation, t. III, p. 82). Or, la plus grande hardiesse de langage de l’auteur des Instructions avait consisté à dire que les bailliages « doivent se conduire plutôt d’après ce que le bien général pourra leur prescrire que d’après le règlement qui leur a été envoyé, les rois de France n’ayant jamais été dans l’usage de joindre aucun règlement à leur lettre de convocation ». (Instructions données par S. A. S. Monseigneur le duc d’Orléans à ses représentants aux baillages, s. l., 1789, in-8. Bibl. nat., Lb 39/380.) C’était une opinion fort répandue que l’on pouvait interpréter à sa guise ou même violer le règlement royal, sans manquer de respect et de fidélité au roi.