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LIVRE III — LES ROMAINS ET LEURS FAUX DIEUX.

de l’empire romain, étaient des barbares à dompter. Rappellerai-je que soixante-dix gladiateurs commencèrent la guerre des esclaves, et que cette poignée d’hommes, croissant en nombre et en fureur, en vint à triompher des généraux du peuple romain ? Comment citer toutes les villes qu’ils ont ruinées, toutes les contrées qu’ils ont dévastées ? À peine les historiens suffisent-ils à décrire toutes ces calamités. Et cette guerre ne fut pas la seule faite par les esclaves ; ils avaient auparavant ravagé la Macédoine, la Sicile et toute la côte. Enfin, qui pourrait raconter toutes les atrocités de ces pirates, qui, après avoir commencé par des brigandages, finirent par soutenir contre Rome des guerres redoutables ?

CHAPITRE XXVII.
DE LA GUERRE CIVILE ENTRE MARIUS ET SYLLA.

Marius, encore tout sanglant du massacre de ses concitoyens, ayant été vaincu à son tour et obligé de s’enfuir, Rome commençait un peu à respirer, quand Cinna et lui y rentrèrent plus puissants que jamais. « Ce fut alors », pour me servir des expressions de Cicéron, « que l’on vit, par le massacre des plus illustres citoyens, s’éteindre les flambeaux de la république. Sylla vengea depuis une victoire si cruelle ; mais à combien de citoyens il en coûta la vie, et que de pertes sensibles pour l’État[1] ! » En effet, la vengeance de Sylla fut plus funeste à Rome que n’eût été l’impunité, et comme dit Lucain :

« Le remède passa toute mesure, et l’on porta la main sur des parties malades où il ne fallait pas toucher. Les coupables périrent, mais quand il ne pouvait survivre que des coupables. Alors la haine se donna carrière, et la vengeance, libre du joug des lois, précipita ses fureurs[2] ».

Dans cette lutte de Marius et de Sylla, outre ceux qui furent tués sur le champ de bataille, tous les quartiers de la ville, les places, les marchés, les théâtres, les temples même étaient remplis de cadavres, à ce point qu’on n’aurait pu dire si c’était avant ou après la victoire qu’il était tombé plus de victimes.

De retour de son exil, Marius eut à peine rétabli sa domination, qu’on vit, sans parler d’innombrables assassinats qui se commirent de tous côtés, la tête du consul Octavius exposée sur la tribune aux harangues, César et Fimbria tués dans leurs maisons, les deux Crassus, le père et le fils, égorgés sous les yeux l’un de l’autre, Bébius et Numitorius traînés par les rues et mis en pièces, Catulus forcé de recourir au poison pour se sauver des mains de ses ennemis ; Mérula, flamine de Jupiter, s’ouvrant les veines et faisant au dieu une libation de son propre sang ; enfin on massacrait sous les yeux de Marius tous ceux à qui il ne donnait pas la main quand ils le saluaient[3].

CHAPITRE XXVIII.
COMMENT SYLLA VICTORIEUX TIRA VENGEANCE DES CRUAUTÉS DE MARIUS.

Sylla, qui vint tirer vengeance de ces cruautés au prix de tant de sang, mit fin à la guerre ; mais comme sa victoire n’avait pas détruit les inimitiés, elle rendit la paix encore plus meurtrière. À toutes les atrocités du premier Marius, son fils Marius le Jeune et Carbon en ajoutèrent de nouvelles. Instruits de l’approche de Sylla et désespérant de remporter la victoire, et même de sauver leurs têtes, ils remplirent Rome de massacres où leurs amis n’étaient pas plus épargnés que leurs adversaires. Ce ne fut pas assez pour eux de décimer la ville ; ils assiégèrent le sénat et tirèrent du palais, comme d’une prison, un grand nombre de sénateurs qu’ils firent égorger en leur présence. Le pontife Mucius Scévola fut tué au pied de l’autel de Vesta, où il s’était réfugié comme dans un asile inviolable, et il s’en fallut de peu qu’il n’éteignît de son sang le feu sacré entretenu par les vestales. Bientôt Sylla entra victorieux à Rome, après avoir fait égorger dans une ferme publique sept mille hommes désarmés et sans défense[4]. Ce n’était plus la guerre qui tuait, c’était la paix ; on ne se battait plus contre ses ennemis, un mot suffisait pour les exterminer. Dans la ville, les partisans de Sylla massacrèrent qui bon leur sembla ; les morts ne se comptaient plus, jusqu’à ce qu’enfin on conseilla à Sylla de laisser vivre quelques citoyens, afin que les vainqueurs eussent à qui commander. Alors s’arrêta cette effroyable liberté du meurtre, et on

  1. Voyez Cicéron, 3e Catilin., ch. 10, § 24.
  2. Lucain, Pharsale, livre ii, vers 142-146.
  3. Voyez Appien, De bell. civil., lib. i, cap. 71 seq. ; et Plutarque, Vies de Marius et de Sylla, passim.
  4. Les historiens ne sont pas d’accord sur le chiffre des morts, que les uns fixent au-dessus de sept mille et les autres au-dessous. Saint Augustin paraît avoir adopté le récit de Velleius Paterculus (livre ii, ch. 28).