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LIVRE III — LES ROMAINS ET LEURS FAUX DIEUX.

non plus du traité ignominieux fait avec Numance ; les poulets sacrés, dit-on, s’étaient envolés de leurs cages, ce qui était de fort mauvais augure pour le consul Mancinus ; comme si, pendant cette longue suite d’années où Numance tint en échec les armées romaines et devint la terreur de la république, les autres généraux ne l’eussent attaquée que sous des auspices défavorables !

CHAPITRE XXII.
DE L’ORDRE DONNÉ PAR MITHRIDATE DE TUER TOUS LES CITOYENS ROMAINS QU’ON TROUVERAIT EN ASIE.

Je passe, dis-je, tout cela sous silence ; mais puis-je taire l’ordre donné par Mithridate, roi de Pont, de mettre à mort le même jour tous les citoyens romains qui se trouveraient en Asie, où un si grand nombre séjournaient pour leurs affaires privées, ce qui fut exécuté[1] ? Quel épouvantable spectacle ! Partout où se rencontre un Romain, à la campagne, par les chemins, à la ville, dans les maisons, dans les rues, sur les places publiques, au lit, à table, partout, à l’instant, il est impitoyablement massacré ! Quelles furent les plaintes des mourants, les larmes des spectateurs ou peut-être même des bourreaux ! et quelle cruelle nécessité imposée aux hôtes de ces infortunés, non-seulement de voir commettre chez eux tant d’assassinats, mais encore d’en être eux-mêmes les exécuteurs, de quitter brusquement le sourire de la politesse et de la bienveillance pour exercer au milieu de la paix le terrible devoir de la guerre et recevoir intérieurement le contre-coup des blessures mortelles qu’ils portaient à leurs victimes ! Tous ces Romains avaient-ils donc méprisé les augures ? n’avaient-ils pas des dieux publics et des dieux domestiques à consulter avant que d’entreprendre un voyage si funeste ? S’ils ne l’ont pas fait, nos adversaires n’ont pas sujet de se plaindre de la religion chrétienne, puisque longtemps avant elle les Romains méprisaient ces vaines prédictions : et s’ils l’ont fait, quel profit en ont-ils retiré alors que les lois, du moins les lois humaines, autorisaient ces superstitions ?

CHAPITRE XXIII.
DES MAUX INTÉRIEURS QUI AFFLIGÈRENT LA RÉPUBLIQUE ROMAINE À LA SUITE D’UNE RAGE SOUDAINE DONT FURENT ATTEINTS TOUS LES ANIMAUX DOMESTIQUES.

Rapportons maintenant le plus succinctement possible des maux d’autant plus profonds qu’ils furent plus intérieurs, je veux parler des discordes qu’on a tort d’appeler civiles, puisqu’elles sont mortelles pour la cité. Ce n’étaient plus des séditions, mais de véritables guerres où l’on ne s’amusait pas à répondre à un discours par un autre, mais où l’on repoussait le fer par le fer. Guerres civiles, guerres des alliés, guerres des esclaves, que de sang romain répandu parmi tant de combats ! quelle désolation dans l’Italie, chaque jour dépeuplée ! On dit qu’avant la guerre des alliés tous les animaux domestiques, chiens, chevaux, ânes, bœufs, devinrent tout à coup tellement farouches qu’ils sortirent de leurs étables et s’enfuirent çà et là, sans que personne pût les approcher autrement qu’au risque de la vie[2]. Quel mal ne présageait pas un tel prodige, qui était déjà un grand mal, même s’il n’était pas un présage ! Supposez qu’un pareil accident arrivât de nos jours ; vous verriez les païens plus enragés contre nous que ne l’étaient contre eux leurs animaux.

CHAPITRE XXIV.
DE LA DISCORDE CIVILE QU’ALLUMA L’ESPRIT SÉDITIEUX DES GRACQUES.

Le signal des guerres civiles fut donné par les séditions qu’excitèrent les Gracques à l’occasion des lois agraires. Ces lois avaient pour objet de partager au peuple les terres que la noblesse possédait injustement ; mais vouloir extirper une injustice si ancienne, c’était une entreprise non-seulement périlleuse, mais encore, comme l’événement l’a prouvé, des plus pernicieuses pour la république. Quelles funérailles suivirent la mort violente du premier des Gracques, et, peu après, celle du second ! Au mépris des lois et de la hiérarchie des pouvoirs, c’étaient la violence et les armes qui frappaient tour à tour les plébéiens et les patriciens. On dit qu’après la mort du second des Gracques, le consul Lucius Opimus,

  1. Voyez Appien, cap. 22 et seq., Cicéron, De lege Manil., cap. 3, et Orose, Hist., lib. vi, cap. 2.
  2. Voyez Orose, Hist., lib. v, cap. 18.