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LA CITÉ DE DIEU.

À peine en eut-elle touché les balustres qu’elle tomba comme son frère et se releva parfaitement guérie. Or, comme nous demandions ce qui était arrivé, et d’où venaient ces cris de joie, les fidèles rentrèrent avec elle dans la basilique où nous étions, la ramenant guérie du tombeau du martyr. Alors il s’éleva un si grand cri de joie de la bouche des hommes et des femmes, que l’on crut que les larmes et les acclamations[1] ne finiraient point. Palladia fut conduite au même lieu où on l’avait vue un peu auparavant trembler de tous ses membres. Plus on s’était affligé de la voir moins favorisée que son frère, plus on se réjouissait de la voir aussi bien guérie que lui. On glorifiait la bonté de Dieu, qui avait entendu et exaucé les prières qu’on avait à peine eu le temps de faire pour elle. Aussi, il s’élevait de toute part de si grands cris d’allégresse qu’à peine nos oreilles pouvaient-elles les soutenir. Qu’y avait-il dans le cœur de tout ce peuple si joyeux, sinon cette foi du Christ, pour laquelle saint Étienne avait répandu son sang ?


CHAPITRE IX.

tous les miracles opérés par les martyrs au nom de jésus-christ sont autant de témoignages de la foi qu’ils ont eue en jésus-christ.

À qui ces miracles rendent-ils témoignage, sinon à cette foi qui prêche Jésus-Christ ressuscité et monté au ciel eu corps et en âme ? Les martyrs eux-mêmes ont été les martyrs, c’est-à-dire les témoins[2] de cette foi c’est pour elle qu’ils se sont attiré la haine et la persécution du monde, et qu’ils ont vaincu, non en résistant, mais en mourant. C’est pour elle qu’ils sont morts, eux qui peuvent obtenir ces grâces du Seigneur au nom duquel ils sont morts. C’est pour elle qu’ils ont souffert, afin que leur admirable patience fût suivie de ces miracles de puissance. Car s’il n’était pas vrai que la résurrection de la chair s’est d’abord manifestée en Jésus-Christ et qu’elle doit s’accomplir dans tous les hommes telle qu’elle a été annoncée par ce Sauveur et prédite par les Prophètes, pourquoi les martyrs, égorgés pour cette foi qui prêche la résurrection, ont-ils, quoique morts, un si grand pouvoir ? En effet, soit que Dieu fasse lui-même ces miracles, selon ce merveilleux mode d’action qui opère des effets temporels du sein de l’éternité, soit qu’il agisse par ses ministres, et, dans ce dernier cas, soit qu’il emploie le ministère des esprits des martyrs, comme s’ils étaient encore au monde, ou celui des anges, les martyrs y interposant seulement leurs prières, soit enfin qu’il agisse de quelque autre manière incompréhensible aux hommes, toujours faut-il tomber d’accord que les martyrs rendent témoignage à cette foi qui prêche la résurrection éternelle des corps.


CHAPITRE X.

combien sont plus dignes d’être honorés les martyrs qui opèrent de tels miracles pour que l’on adore dieu, que les démons qui ne font certains prodiges que pour se faire eux-mêmes adorer comme des dieux.

Nos adversaires diront peut-être que leurs dieux ont fait aussi des miracles. À merveille, pourvu qu’ils en viennent déjà à comparer leurs dieux aux hommes qui sont morts parmi nous. Diront-ils qu’ils ont aussi des dieux tirés du nombre des morts, comme Hercule, Romulus et plusieurs autres qu’ils croient élevés au rang des dieux ? Mais nous ne croyons point, nous, que nos martyrs soient des dieux, parce que nous savons que notre Dieu est le leur ; et cependant, les miracles que les païens prétendent avoir été faits par les temples de leurs dieux ne sont nullement comparables à ceux qui se font par les tombeaux de nos martyrs. Ou s’il en est quelques-uns qui paraissent du même ordre, nos martyrs ne laissent pas de vaincre leurs dieux, comme Moïse vainquit les mages de Pharaon[3]. En effet, les prodiges opérés par les démons sont inspirés par le même orgueil qui les a portés à vouloir être dieux ; au lieu que nos martyrs les font, ou plutôt Dieu les fait par eux et à leur prière, afin d’établir de plus en plus cette foi qui nous fait croire, non que les martyrs sont nos dieux, mais qu’ils n’ont avec nous qu’un même Dieu. Enfin, les païens ont bâti des temples aux divinités de leur choix, leur ont dressé des autels, donné des prêtres et fait des sacrifices ; mais nous, nous n’élevons point à nos martyrs des temples

  1. Voyez le Sermon cccxxiii
  2. Marty, du grec μάρτυρ, témoin.
  3. Exod. VIII.