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LA CITÉ DE DIEU.

de même d’une paralysie et d’une hernie, et sortit du baptême comme s’il n’avait jamais rien eu. Qui connaît ce miracle, hors ceux de Curube, et peut-être un petit nombre de personnes ? Pour nous, quand nous l’apprîmes, nous fîmes venir cet homme à Carthage, par l’ordre du saint évêque Aurélius, bien que nous en eussions été informés par des personnes tellement dignes de foi que nous n’en pouvions douter.

Hespérius, d’une famille tribunitienne, possède dans notre voisinage un domaine sur les terres de Fussales[1], appelé Zubédi. Ayant reconnu que l’esprit malin tourmentait ses esclaves et son bétail, il pria nos prêtres, en mon absence, de vouloir bien venir chez lui afin d’en chasser les démons. L’un d’eux s’y rendit, et offrit le sacrifice du corps de Jésus-Christ, avec de ferventes prières, pour faire cesser cette possession. Aussitôt elle cessa par la miséricorde de Dieu. Or, Hespérius avait reçu d’un de ses amis un peu de la terre sainte de Jérusalem où Jésus-Christ fut enseveli et ressuscita le troisième jour. Il avait suspendu cette ferre dans sa chambre à coucher, pour se mettre lui-même à l’abri des obsessions du démon. Lorsque sa maison en fut délivrée, il se demanda ce qu’il ferait de cette terre qu’il ne voulait plus, par respect, garder dans sa chambre. Il arriva par hasard que mon collègue Maximin, évêque de Sinite, et moi, nous étions alors dans les environs. Hespérius nous fit prier de l’aller voir, et nous y allâmes. Il nous raconta tout ce qui s’était passé, et nous pria d’enfouir cette terre en un lieu où les chrétiens pussent s’assembler pour faire le service de Dieu. Nous y consentîmes. Il y avait près de là un jeune paysan paralytique, qui, sur cette nouvelle, pria ses parents de le porter sans délai vers ce saint lieu ; et à peine y fut-il arrivé et eut-il prié, qu’il put s’en retourner sur ses pieds, parfaitement guéri.

Dans une métairie nommée Victoriana, à trente milles d’Hippone, il y a un monument en l’honneur des deux martyrs de Milan, Gervais et Protais. On y porta un jeune homme qui, étant allé vers midi, pendant l’été, abreuver son cheval à la rivière, fut possédé par le démon. Comme il était étendu mourant et semblable à un mort, la maîtresse du lieu vint sur le soir, selon sa coutume, près du monument, avec ses servantes et quelques religieuses, pour y chanter des hymnes et y faire sa prière. Alors le démon, frappé et comme réveillé par ces voix, saisit l’autel avec un frémissement terrible, et sans oser ou sans pouvoir le remuer, il s’y tenait attaché et pour ainsi dire lié. Puis, priant d’une voix gémissante, il suppliait qu’on lui pardonnât, et il confessa même comment et en quel endroit il était entré dans le corps de ce jeune homme. À la fin, promettant d’en sortir, il en nomma toutes les parties, avec menace de les couper, quand il sortirait, et, en disant cela, il se retira de ce jeune homme. Mais l’œil du malheureux tomba sur sa joue, retenu par une petite veine comme par une racine, et la prunelle devint toute blanche. Ceux qui étaient présents et qui s’étaient mis en prière avec les personnes accourues au bruit, touchés de ce spectacle et contents de voir ce jeune homme revenu à son bon sens, s’affligeaient néanmoins de la perte de son œil et disaient qu’il fallait appeler un médecin. Alors le beau-frère de celui qui l’avait transporté prenant la parole : « Dieu, dit-il, qui a chassé le « démon à la prière de ces saints, peut bien aussi rendre la vue à ce jeune homme ». Là-dessus il remit comme il put l’œil à sa place et le banda avec son mouchoir ; sept jours après, il crut pouvoir l’enlever, et il trouva l’œil parfaitement guéri. D’autres malades encore trouvèrent en ce lieu leur guérison ; mais ce récit nous mènerait trop loin.

Je connais une fille d’Hippone, qui, s’étant frottée d’une huile où le prêtre qui priait pour elle avait mêlé ses larmes, fut aussitôt délivrée du malin esprit. Je sais que la même chose arriva à un jeune homme, la première fois qu’un évêque, qui ne l’avait point vu, pria pour lui.

Il y avait à Hippone un vieillard nommé Florentius, homme pauvre et pieux, qui vivait de son métier de tailleur. Ayant perdu l’habit qui le couvrait et n’ayant pas de quoi en acheter un autre, il courut au tombeau des Vingt. Martyrs[2], qui est fort célèbre chez nous, et les pria de le vêtir. Quelques jeunes gens qui se trouvaient là par hasard, et qui avaient envie de rire, l’ayant entendu, le suivirent quand il sortit et se mirent à le railler, comme s’il eût

  1. Ville située près d’Hippone.
  2. Voyez le sermon cccxxv de saint Augustin, prononcé en l’honneur de ces vingt Martyrs.