Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XIII.djvu/53

Cette page a été validée par deux contributeurs.
43
LIVRE II - ROME ET SES FAUX DIEUX.

coupable. Ce n’est pas tout : comme il faisait la guerre en Asie contre Mithridate, Jupiter lui fit dire par Lucius Titius qu’il serait vainqueur, ce qui arriva. Plus tard, quand Sylla méditait de retourner à Rome pour venger par les armes ses injures et celle de ses amis, le même Jupiter lui fit dire par un soldat de la sixième légion que, lui ayant déjà présagé sa victoire contre Mithridate, il lui promettait encore de lui donner la puissance nécessaire pour s’emparer de la république, non toutefois sans répandre beaucoup de sang. Sylla voulut savoir du soldat sous quelle forme il avait vu Jupiter, et reconnut que c’était la même que le dieu avait déjà revêtue pour lui faire annoncer une première fois qu’il serait vainqueur. Comment justifier les dieux du soin qu’ils ont pris de prédire à Sylla le succès de ses entreprises, et de leur négligence à lui donner d’utiles avertissements pour détourner les maux qu’allait déchaîner sur Rome une guerre impie, honte et ruine de la république ? Il faut conclure de là, comme je l’ai dit plusieurs fois et comme les saintes Écritures et l’expérience même nous le font assez connaître, que les démons n’ont d’autre but que de passer pour dieux, de se faire adorer comme tels, et de porter les hommes à leur offrir un culte qui les associe à leurs crimes, afin qu’étant unis avec eux dans une même cause, ils soient condamnés comme eux par un même jugement de Dieu.

Quelque temps après, Sylla vint à Tarente, et ayant sacrifié, il aperçut au haut du foie de la victime la forme d’une couronne d’or. Sur ce présage, l’aruspice Postumius lui promit une grande victoire et ordonna que Sylla seul mangeât de ce foie. Presque au même instant l’esclave d’un certain Lucius Pontius s’écria, d’un ton inspiré : Je suis le messager de Bellone, la victoire est à toi, Sylla ! Puis il ajouta que le Capitole serait brûlé. Là-dessus étant sorti du camp, il revint le lendemain encore plus ému, et s’écria : Le Capitole est brûlé ! et, en effet[1], il l’était. On sait qu’il est facile à un démon de prévoir un tel événement et d’en apporter très-promptement la nouvelle ; mais considérez ici, ce qui importe fort à notre sujet, sous quels dieux veulent vivre ceux qui blasphèment le Sauveur venu pour les délivrer de la domination des démons. Cet homme s’écria, comme inspiré : La victoire est à toi, Sylla ! et pour faire croire qu’il était animé de l’esprit divin, il annonça comme prochain un événement qui s’accomplit en effet, tout éloigné qu’il fût de celui qui le prédisait ; mais il ne cria point : Sylla, garde-toi d’être cruel ! de manière à prévenir les horribles cruautés que commit à Rome cet illustre vainqueur à qui fut annoncé son triomphe par une couronne d’or empreinte sur le foie d’un veau ! Certes, si c’étaient des dieux justes et non des démons impies qui fissent paraître de tels présages, ils auraient bien plutôt révélé à Sylla, par l’inspection des entrailles, les maux que sa victoire devait causer à l’État et à lui-même. Car il est certain qu’elle ne fut pas si avantageuse à sa gloire que fatale à son ambition, puisque enivré par la prospérité, il lâcha la bride à ses passions et fit plus de mal à son âme en la perdant de mœurs qu’il n’en fit à ses ennemis en les tuant. Cependant ces malheurs si réels et si lamentables, les dieux ne les lui annoncèrent ni par les entrailles des victimes, ni par des augures, ni par quelque songe ou quelque prophétie. Ils n’appréhendaient pas qu’il fût vaincu, mais qu’il se vainquît lui-même ; ou plutôt ils travaillaient à faire que ce vainqueur de ses concitoyens devînt esclave de ses vices et d’autant plus asservi, par là même, au joug des démons.

CHAPITRE XXV.
LES DÉMONS ONT TOUJOURS EXCITÉ LES HOMMES AU MAL EN DONNANT AUX CRIMES L’AUTORITÉ DE LEUR EXEMPLE.

Qui ne reconnaît donc par là, si ce n’est celui qui aime mieux imiter de tels dieux que d’être préservé de leur commerce par la grâce du vrai Dieu, qui ne sent et ne comprend que tout leur effort est de donner au crime par leur exemple une autorité divine ? On les a même vus se battre les uns contre les autres dans une grande plaine de la Campanie, où peu après se donna une bataille entre les deux partis qui divisaient la république. Un bruit formidable se fit d’abord entendre[2], et plusieurs rapportèrent bientôt qu’ils avaient vu pendant quelques jours deux armées qui étaient aux prises. Le combat fini, on trouva

  1. Cet incendie eut lieu l’an de Rome 670, le 7 juillet. Les historiens l’attribuent à diverses causes, par exemple à la négligence d’un gardien. Voyez sur ces prédictions le De divinatione de Cicéron, qui avait sous les yeux les Commentaires de Sylla (lib. i, cap. 33).
  2. Voyez Tite-Live, lib. lxxix ; Valère Maxime, lib. v, cap. 5, § 4, et Orose, Hist., lib. v, cap. 19.