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LIVRE II - ROME ET SES FAUX DIEUX.


tira sur le mont Sacré et sur l’Aventin[1] ; ce fut ainsi qu’il obtint ses tribuns et d’autres prérogatives. Mais la lutte et les dissensions ne furent entièrement éteintes qu’à la seconde guerre punique ». Voilà ce que devinrent, au bout de quelque temps, peu après l’expulsion des rois, ces Romains dont Salluste nous dit : « Que leur caractère, autant que leurs lois, les rendait justes et équitables ». Or, si telle a été la république romaine aux jours de sa vertu et de sa beauté, que dirons-nous du temps qui a suivi, où, comme dit Salluste : « Changeant peu à peu, de belle et vertueuse qu’elle était, elle devint laide et corrompue », et cela, comme il a soin de le remarquer, depuis la ruine de Carthage ? On peut voir, dans son Histoire le tableau rapide qu’il trace de ces tristes temps, et par quels degrés la corruption, née des prospérités de Rome, aboutit enfin à la guerre civile : « Depuis cette époque, dit-il, les antiques mœurs, au lieu de s’altérer insensiblement, s’écoulèrent comme un torrent ; car le luxe et la cupidité avaient tellement dépravé la jeunesse que nul ne pouvait plus conserver son propre patrimoine ni souffrir la conservation de celui d’autrui ». Salluste parle ensuite avec quelque étendue des vices de Sylla et des autres hontes de la république, et tous les historiens sont ici d’accord avec lui, quoiqu’ils n’aient pas son éloquence.

Voilà, ce me semble, des témoignages suffisants pour faire voir à quiconque voudra y prendre garde dans quel abîme de corruption Rome était tombée avant l’avénement de Notre-Seigneur, car tous ces désordres avaient éclaté, non-seulement avant que Jésus-Christ revêtu d’un corps eût commencé à enseigner sa doctrine, mais avant qu’il fût né d’une vierge.

Si donc les païens n’osent imputer à leurs dieux les maux de ces temps antérieurs, tolérables avant la ruine de Carthage, intolérables depuis, bien que leurs dieux seuls, dans leur méchanceté et leur astuce, en jetassent la semence dans l’esprit des hommes par les folles opinions qu’ils y répandaient, pourquoi imputent-ils les maux présents à Jésus Christ, dont la doctrine salutaire défend d’adorer ces dieux faux et trompeurs, et qui, condamnant par une autorité divine ces dangereuses et criminelles convoitises du cœur humain, retire peu à peu sa famille d’un monde corrompu et qui tombe, pour établir, non sur les applaudissements de la vanité, mais sur le jugement de la vérité même, son éternelle et glorieuse cité !

CHAPITRE XIX.
DE LA CORRUPTION OÙ ÉTAIT TOMBÉE LA RÉPUBLIQUE ROMAINE AVANT QUE LE CHRIST VÎNT ABOLIR LE CULTE DES DIEUX.

Voilà donc comment la république romaine, « changeant peu à peu, de belle et vertueuse qu’elle était, devint laide et corrompue ». Et ce n’est pas moi qui le dis le premier ; leurs auteurs, dont nous l’avons appris pour notre argent, l’ont dit longtemps avant l’avénement du Christ. Voilà comment depuis la ruine de Carthage, « les antiques mœurs, au lieu de s’altérer insensiblement, s’écoulèrent comme un torrent : tant le luxe et la cupidité avaient corrompu la jeunesse ! » Où sont les préceptes donnés au peuple romain par ses dieux contre le luxe et la cupidité ? et plût au ciel qu’ils se fussent contentés de se taire sur la chasteté et la modestie, au lieu d’exiger des pratiques indécentes et honteuses auxquelles ils donnaient une autorité pernicieuse par leur fausse divinité ! Qu’on lise nos Écritures, on y verra cette multitude de préceptes sublimes et divins contre l’avarice et l’impureté, partout répandus dans les Prophètes, dit le saint Évangile, dans les Actes et les Épîtres des Apôtres, et qui font éclater à l’oreille des peuples assemblés non pas le vain bruit des disputes philosophiques, mais le tonnerre des divins oracles roulant dans les nuées du ciel. Les païens n’ont garde d’imputer à leurs dieux le luxe, la cupidité, les mœurs cruelles et dissolues qui avaient si profondément corrompu la république avant la venue de Jésus-Christ ; et ils osent reprocher à la religion chrétienne toutes les afflictions que leur orgueil et leurs débauches attirent aujourd’hui sur elle. Et pourtant, si les rois et les peuples, si tous les princes et les juges de la terre, si les jeunes hommes et les jeunes filles, les vieillards et les enfants, tous les âges, tous les sexes, sans oublier ceux à qui s’adresse saint Jean-Baptiste[2], publicains et

  1. Ce fut dix-sept ans après l’expulsion des Tarquins que le peuple se retira sur le mont Sacré. Voyez Tite-Live, lib. ii, cap. 32, et lib. iii, cap. 50.
  2. Luc iii, 12.