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sur le théâtre. En ce même temps, Latone accoucha d’Apollon, non de celui dont on consultait les oracles, mais d’un autre[1] qui fut berger d’Admète du temps d’Hercule, et qui néanmoins a tellement passé pour un dieu que presque tout le monde le confond avec l’autre. Ce fut aussi alors que Bacchus fit la guerre aux Indiens, accompagné d’une troupe de femmes appelées Bacchantes, plus célèbres par leur fureur que par leur courage. Quelques-uns écrivent qu’il fut vaincu et fait prisonnier ; et d’autres, qu’il fut même tué dans le combat par Persée, sans oublier le lieu où il fut enseveli ; et toutefois les démons ont fait instituer des fêtes en son honneur, qu’on appelle Bacchanales, dont le sénat a eu tant de honte après plusieurs siècles, qu’il les a bannies de Rome[2]. Persée et sa femme Andromède vivaient vers le même temps, et, après leur mort, ils furent si constamment réputés pour dieux qu’on ne rougit point d’appeler quelques étoiles de leur nom.

CHAPITRE XIV.

DES POÈTES THÉOLOGIENS.

À la même époque, il y eut des poètes qu’on appelait aussi théologiens, parce qu’ils faisaient des vers en l’honneur des dieux ; mais quels dieux ? des dieux qui, tout grands hommes qu’ils pussent avoir été, n’en étaient pas moins des hommes, ou qui même n’étaient autre chose que les éléments du monde, ouvrage du seul vrai Dieu ; ou enfin, si c’étaient des anges, ils devaient ce haut rang moins à leurs mérites qu’à la volonté du Créateur. Que si, parmi tant de fables, ces poètes ont dit quelque chose du vrai Dieu, comme ils en adoraient d’autres avec lui, ils ne lui ont pas rendu le culte qui n’est dû qu’à lui seul ; outre qu’ils n’ont pu se défendre de déshonorer ces dieux mêmes par des contes ridicules, comme ont fait Orphée, Musée et Linus. Du moins, si ces théologiens ont adoré les dieux, ils n’ont pas été adorés comme des dieux, quoique la cité des impies fasse présider Orphée aux sacrifices infernaux. Ce fut le temps où Ino, femme du roi Athamas, se jeta dans la muer avec son fils Mélicerte, et où ils furent tous deux mis au rang des dieux, comme beaucoup d’autres hommes de ce temps-là, et entre autres Castor et Pollux. Les Grecs donnent à la mère de Mélicerte le nom de Leucothée, et les Latins celui de Matuta ; mais les uns et les autres la prennent pour une déesse[3].

CHAPITRE XV.

FIN DU ROYAUME DES ARGIENS ET NAISSANCE DE CELUI DES LAURENTINS.

Vers ce temps, le royaume des Argiens prit fin et fut transféré à Mycènes, dont Agamemnon fut roi, et celui des Laurentins commença à s’établir : ils eurent pour premier roi Picus, fils de Saturne. Debbora était alors juge des Hébreux. Cette femme fut élevée à cet honneur par un ordre exprès de Dieu, car elle était prophétesse ; mais comme ses prophéties sont obscures, il faudrait trop nous étendre pour faire voir le rapport qu’elles ont à Jésus-Christ. Les Laurentins régnaient donc déjà en Italie, et ce peuple est, après les Grecs, l’origine la plus certaine de Rome[4]. Cependant la monarchie des Assyriens subsistait toujours, et ils comptaient Lamparès pour leur vingt-troisième roi, quand Picus fut le premier des Laurentins. C’est aux adorateurs de ces dieux à voir ce qu’ils veulent qu’ait été Saturne, père de ce Picus ; car ils disent que ce n’était pas un homme. D’autres ont écrit qu’il avait régné en Italie avant Picus, et Virgile l’a célébré dans ces vers bien connus : « C’est lui qui rassembla ces hommes indociles errant sur les hautes montagnes ; il leur donna des lois et voulut que cette contrée s’appelât Latium, parce qu’il s’y était caché pour éviter la fureur de son fils[5]. C’est sous son règne que l’on place l’âge d’or[6] »

Mais qu’ils traitent ceci de fiction poétique, et qu’ils disent, s’ils veulent, que le Père de Picus s’appelait Stercé, et qu’il fut ainsi nommé à cause qu’étant fort bon laboureur, il apprit aux hommes à amender la terre avec du fumier a, d’où vient que quelques auteurs l’appellent Stercutius. Quoi qu’il en soit, ils en ont fait pour cette raison le Dieu de l’agriculture. Ils ont mis aussi Picus parmi les

  1. Tyrinthe, ville du Péloponèse, près d’Argos
  2. Erichthon, dit saint Augustin, vient de eris, lutte, et de Xton, terre
  3. Comp. Ovide, Metam, lib. 4, v.416-540, et Fast, lib. 6, v.475-550
  4. La ville de Laurentum, d’où saint Augustin veut, d’après Eusèbe, que les Romains tirent en partie leur origine, était située entre Ardéa et les bouches du Tibre
  5. Latium, de latere, se cacher
  6. Enéide, livre 8, v.521-525