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LIVRE XV. — AVANT LE DÉLUGE.

maisons ; ou enfin, si l’on prétend que, pour figurer avec une exactitude parfaite le plus auguste des mystères, il fallait qu’il y eût un nombre limité de toutes les sortes d’animaux qui ne peuvent vivre naturellement dans l’eau, je réponds que la providence de Dieu pourvut à tout cela sans que les hommes eussent à s’en mêler. Noé ne prenait pas les animaux pour les mettre dans l’arche, mais ils y venaient d’eux-mêmes. Les paroles de l’Écriture le font assez entendre : « Ils viendront à vous[1] » ; c’est-à-dire qu’ils n’y viendront pas par l’entremise des hommes, mais par la volonté de Dieu, qui leur en donnera l’instinct, il ne faut pas s’imaginer néanmoins que les animaux qui n’ont point de sexe y soient entrés, car l’Écriture dit en termes formels qu’il devait y entrer un mâle et une femelle de chaque espèce. Il existe en effet certains animaux qui s’engendrent de corruption et qui ne laissent pas ensuite de s’accoupler, comme les mouches ; il en est d’autres en qui l’on ne remarque aucune différence de sexe, comme les abeilles. Pour les bêtes qui ont un sexe, mais qui n’engendrent point, comme les mules et les mulets, je ne sais si elles y eurent place, et peut-être n’y eût-il que celles dont elles procèdent, et ainsi des autres animaux hybrides. Si toutefois cela était nécessaire pour le mystère, elles y étaient, puisque dans cette espèce d’animaux il y a aussi mâle et femelle.

Quelques-uns demandent encore quelle sorte de nourriture pouvaient avoir là les animaux que l’on croit ne vivre que de chair, si Noé en fit entrer dans l’arche quelques autres pour les nourrir, outre ceux que Dieu lui avait commandés, ou, ce qui est plus vraisemblable, s’il y avait quelques aliments communs à tous[2] ; car nous savons que plusieurs animaux qui se nourrissent de chair mangent aussi des fruits et particulièrement des figues et des châtaignes. Quelle merveille donc que Noé, ce sage et saint personnage, ait préparé dans l’arche une nourriture convenable à tous les animaux et qu’au surplus Dieu même avait pu lui indiquer ? D’ailleurs, que ne mange-t-on point, quand on a faim ? Et puis, Dieu n’était-il pas assez puissant pour leur rendre agréables et salutaires toutes sortes d’aliments, lui qui n’en aurait pas eu besoin pour les faire subsister, si cela n’eût été compris dans l’accomplissement figuré du mystère ? Au reste, que tant de choses spécifiées dans le plus grand détail soient des figures de l’Église, c’est ce qu’on ne saurait nier sans opiniâtreté, Les nations, tant pures qu’impures, ont déjà tellement rempli l’Église et sont si bien unies par les liens inviolables de son unité, jusqu’à l’accomplissement final, que ce fait seul, qui est si évident, suffit pour ne nous laisser aucun doute sur les autres choses qui ne sont pas aussi claires ; et par conséquent, il faut croire que c’est avec beaucoup de sagesse que ces événements ont été confiés à la tradition et à l’écriture, qu’ils sont arrivés en effet, qu’ils signifient quelque chose, et que ce qu’ils signifient concerne l’Église. Mais il est temps de finir ce livre, pour continuer dans le suivant l’histoire des deux cités depuis le déluge.

  1. Gen. vi, 19, 20.
  2. Comp. Quæst. in Gen. quæst. 6.