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tandis que sa volonté est contraire à elle-même et que sa chair ne lui veut pas obéir ? Ne voyons-nous pas qu’il se trouble souvent malgré lui, qu’il souffre malgré lui, qu’il vieillit malgré lui, qu’il meurt malgré lui ? Combien endurons-nous de choses que nous n’endurerions pas, si notre nature obéissait en tout à notre volonté ? Mais, dit-on, c’est que notre chair est sujette à certaines infirmités qui l’empêchent de nous obéir. Qu’importe la raison pour laquelle notre chair, qui nous était soumise, nous cause de la peine en refusant de nous obéir, puisqu’il est toujours certain que c’est un effet de la juste vengeance de Dieu, à qui nous n’avons pas voulu nous-mêmes être soumis, ce qui du reste n’a pu lui causer aucune peine ? Car il n’a pas besoin de notre service comme nous avons besoin de celui de notre corps, et ainsi notre péché n’a fait tort qu’à nous. Pour les douleurs qu’on nomme corporelles, c’est l’âme qui les souffre dans le corps et par son moyen. Et que peut souffrir ou désirer par elle-même une chair sans âme ? Quand on dit que la chair souffre ou désire, l’on entend par là ou l’homme entier, comme nous l’avons montré ci-dessus, ou quelque partie de l’âme que la chair affecte d’impressions fâcheuses ou agréables qui produisent en elle un sentiment de douleur onde volupté. Ainsi la douleur du corps n’est autre chose qu’un chagrin de l’âme à cause du corps et la répulsion qu’elle oppose à ce qui se fait dans le corps, comme la douleur de l’âme qu’on nomme tristesse est la répulsion qu’elle oppose aux choses qui arrivent contre son gré. Mais la tristesse est ordinairement précédée de la crainte, qui est aussi dans l’âme et non dans la chair, au lieu que la douleur de la chair n’est précédée d’aucune crainte de la chair qui se sente dans la chair avant la douleur. Pour la volupté, elle est précédée dans la chair même d’un certain aiguillon, comme la faim, la soif et ce libertinage des parties de la génération que l’on nomme convoitise aussi bien que toutes les autres passions. Les anciens ont défini la colère même une convoitise de la vengeance[1], quoique parfois un homme se fâche contre des objets qui ne sont pas capables de ressentir sa vengeance, comme quand il rompt en colère une plume qui ne vaut rien. Mais bien que ce désir de vengeance soit plus déraisonnable que les autres, il ne laisse pas d’être une convoitise et d’être même fondé sur quelque ombre de cette justice qui veut que ceux qui font le mal souffrent à leur tour. Il y a donc une convoitise de vengeance qu’on appelle colère ; il y a une convoitise d’amasser qu’on nomme avarice ; il y a une convoitise de vaincre qu’on appelle opiniâtreté ; et il y a une convoitise de se glorifier qu’on appelle vanité. 2 y en a encore bien d’autres, soit qu’elles aient un nom, soit qu’elles n’en aient point ; car quel nom donner à la convoitise de dominer, qui néanmoins est si forte dans l’âme des tyrans, comme les guerres civiles le font assez voir ?

CHAPITRE XVI.

DU DANGER DU MAL DE LA CONVOITISE, À N’ENTENDRE CE MOT QUE DES MOUVEMENTS IMPURS DU CORPS.

Bien qu’il y ait plusieurs espèces de convoitises, ce mot, quand on ne le détermine pas, ne fait guère penser à autre chose qu’à ce désir particulier qui excite les parties honteuses de la chair. Or, cette passion est si forte qu’elle ne s’empare pas seulement du corps tout entier, au-dehors et au dedans, mais qu’elle émeut tout l’homme en unissant et mêlant ensemble l’ardeur de l’âme et l’appétit charnel, de sorte qu’au moment où cette volupté, la plus grande de toutes entre celles du corps, arrive à son comble, l’âme enivrée en perd la raison et s’endort dans l’oubli d’elle-même. Quel est l’ami de la sagesse et des joies innocentes qui, engagé dans le mariage, mais sachant, comme dit l’Apôtre, « conserver le vase de son corps saint et pur, au lieu de s’abandonner à la maladie des désirs déréglés, à l’exemple des païens qui ne connaissent point Dieux[2] », quel est le chrétien, dis-je, qui ne voudrait, s’il était possible, engendrer des enfants sans cette sorte de volupté, de telle façon que les membres destinés à la génération fussent soumis, comme les autres, à l’empire de la volonté plutôt qu’emportés par le torrent impétueux de la convoitise ? Aussi bien, ceux mêmes qui recherchent avec ardeur cette volupté,

  1. Cicéron, Tusc. quaest., lib, 3, cap.6, et lib. 4, cap.9.
  2. 1Th. 4,4,5