Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XIII.djvu/257

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

LIVRE DOUZIÈME

Saint Augustin discute premièrement deux questions sur les anges : d’où est venue aux bons anges la bonne volonté et aux mauvais anges la mauvaise ? quelle est la cause de la béatitude des uns et de la misère des autres ? Il traite ensuite de la création de l’homme et prouve que l’homme n’existe pas de toute éternité, mais qu’il a été formé dans le temps, et sans autre cause que Dieu.

CHAPITRE PREMIER.

LA NATURE DES ANGES, BONS ET MAUVAIS, EST UNE.

Avant de parler de la création de l’homme, avant de montrer les deux cités se formant parmi les êtres raisonnables et mortels, comme on les a vues, dans le livre précédent, se former parmi les anges, il me reste encore quelques mots à dire pour faire comprendre que la société des anges avec les hommes n’a rien d’impossible, de sorte qu’il n’y a pas quatre cités, quatre sociétés, deux pour les anges et autant pour les hommes, mais deux cités en tout, l’une pour les bons, l’autre pour les méchants, anges ou hommes, peu importe.

Que les inclinations contraires des bons et des mauvais anges proviennent, non de la différence de leur nature et de leur principe, puisqu’ils sont les uns et les autres l’oeuvre de Dieu, auteur et créateur excellent de toutes les substances, mais de la diversité de leurs désirs et de leur volonté, c’est ce qu’il n’est pas permis de révoquer en doute. Tandis que les uns, attachés au bien qui leur est commun à tous, lequel n’est autre que Dieu même, se maintiennent dans sa vérité, dans son éternité, dans sa charité, les autres, trop charmés de leur propre puissance, comme s’ils étaient à eux-mêmes leur propre bien, de la hauteur du bien suprême et universel, source unique de la béatitude, sont tombés dans leur bien particulier, et, remplaçant par une élévation fastueuse la gloire éminente de l’éternité, par une vanité pleine d’astuce la solide vérité, par l’esprit de faction qui divise, la charité qui unit, ils sont devenus superbes, fallacieux, rongés d’envie. Quelle est donc la cause de la béatitude des premiers ? leur union avec Dieu ; et celle, au contraire, de la misère des autres ? leur séparation de Dieu. Si donc il faut répondre à ceux qui demandent pourquoi les uns sont heureux : c’est qu’ils sont unis à Dieu, et à ceux qui veulent savoir pourquoi les autres sont malheureux : c’est qu’ils sont séparés de Dieu, il s’ensuit qu’il n’y a pour la créature raisonnable ou intelligente d’autre bien ni d’autre source de béatitude que Dieu seul. Ainsi donc, quoique toute créature ne puisse être heureuse (car une bête, une pierre, du bois et autres objets semblables sont incapables de félicité), celle qui le peut, ne le peut point par elle-même, étant créée de rien, mais par celui qui l’a créée. Le même objet, dont la possession la rend heureuse, par son absence la fait misérable ; au lieu que l’être qui est heureux, non par un autre, mais par soi, ne peut être malheureux, parce qu’il ne peut être absent de soi.

Nous disons donc qu’il n’y a de bien entièrement immuable que Dieu seul dans son unité, sa vérité et sa béatitude, et quant à ses créatures, qu’elles sont bonnes parce qu’elles viennent de lui, mais muables, parce qu’elles ont été tirées, non de sa substance, mais du néant. Si donc aucune d’elles ne peut jamais être souverainement bonne, puisque Dieu est infiniment au dessus, elles sont pourtant très-bonnes, quoique muables, ces créatures choisies qui peuvent trouver la béatitude dans leur union avec le bien immuable, lequel est si essentiellement leur bien, que sans lui elles ne sauraient être que misérables. Et il ne faut pas conclure de là que le reste des créatures répandues dans cet immense univers, ne pouvant pas être misérables, en soient meilleures pour cela ; car on ne dit pas que les autres membres de notre corps soient plus nobles que les yeux, sous prétexte qu’ils ne peuvent devenir aveugles ; mais tout comme la nature sensible est meilleure, lors même qu’elle souffre, que la pierre qui ne peut souffrir en aucune façon, ainsi la nature raisonnable l’emporte, quoique misérable, sur celle qui est privée de raison ou de sentiment et qui est à cause de cela incapable de misère.