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LIVRE XI. — ORIGINE DES DEUX CITÉS.

naissent aussi en eux-mêmes. Mais comme ils ont été créés, ils sont autre chose que celui qui les a créés ; ainsi ils se connaissent en lui comme dans la lumière du jour, et en eux-mêmes comme dans celle du soir, ainsi que nous l’avons dit ci-dessus[1]. Or, il y a une grande différence entre connaître une chose dans la raison qui est la cause de son être, ou la connaître en elle-même ; comme on connaît autrement les figures de mathématiques en les contemplant par l’esprit qu’en les voyant tracées sur le sable, ou comme la justice est autrement représentée dans la vérité immuable que dans l’âme du juste. Il en est ainsi de tous les objets de la connaissance : du firmament, que Dieu a étendu entre les eaux supérieures et les inférieures, et qu’il a nommé ciel, de la mer et de la terre, des herbes et des arbres, du soleil, de la lune et des étoiles, des animaux sortis des eaux, oiseaux, poissons et monstres marins, des animaux terrestres, tant quadrupèdes que reptiles, de l’homme même, qui surpasse en excellence toutes les créatures de la terre et de tout le reste. Toutes ces merveilles de la création sont autrement connues des anges dans le Verbe de Dieu, où elles ont leurs causes et leurs raisons éternellement subsistantes et selon lesquelles elles ont été faites qu’elles ne peuvent être connues en elles-mêmes[2]. Ici, connaissance obscure qui n’atteint que les ouvrages de l’art ; là, connaissance claire qui atteint l’art lui-même ; et cependant ces ouvrages où s’arrête le regard de l’homme, quand on les rapporte à la louange et à la gloire du Créateur, il semble que, dans l’esprit qui les contemple, brille la lumière du matin.

CHAPITRE XXX.
DE LA PERFECTION DU NOMBRE SENAIRE, QUI, LE PREMIER DE TOUS LES NOMBRES, SE COMPOSE DE SES PARTIES.

Or, l’Ecriture dit que la création fut achevée en six jours[3], non que Dieu ait eu besoin de ce temps, comme s’il n’eût pu créer tous les êtres à la fois et leur faire ensuite marquer le cours du temps par des mouvements convenables ; mais le nombre senaire exprime ici la perfection de l’ouvrage divin. Il est parmi tous les nombres le premier qui se compose de ses parties, je veux dire du sixième, du tiers et de la moitié de lui-même ; en effet, le sixième de six est un, le tiers est deux et la moitié est trois, or, un, deux et trois font six. Les parties dont je parle ici sont celles dont on peut préciser le rapport exact avec le nombre entier, comme la moitié, le tiers, le quart ou telle autre fraction semblable. Quatre, par exemple, n’est point partie aliquote de neuf, comme un, qui en est le neuvième, ou trois, qui en est le tiers ; d’un autre côté, le neuvième de neuf qui est un, et le tiers de neuf qui est trois, ajoutés ensemble, ne font pas neuf. Quatre est encore partie de dix, mais non partie aliquote, comme un qui en est le dixième. Deux en est le cinquième, cinq la moitié ; ajoutez maintenant ces trois parties, un, deux et cinq, vous formez non le total dix, mais le total huit. Au contraire, les parties additionnées du nombre douze le surpassent ; car, prenez le douzième de douze qui est un, le sixième qui est deux, le tiers qui est trois, le quart qui est quatre, et la moitié qui est six, vous obtenez, en ajoutant tout cela, non pas douze, mais seize. J’ai cru devoir toucher en passant cette question, afin de montrer la perfection du nombre senaire, qui est, je le répète, le premier de tous qui se compose de la somme de ses parties[4]. C’est dans ce nombre parfait que Dieu acheva ses ouvrages[5]. On aurait donc tort de mépriser les explications qu’on peut tirer des nombres, et ceux qui y regardent de près reconnaissent combien elles sont considérables en plusieurs endroits de l’Ecriture. Ce n’est pas en vain qu’elle a donné à Dieu cette louange : « Vous avez ordonné toutes choses avec poids, nombre et mesure[6] ».

CHAPITRE XXXI.
DU SEPTIÈME JOUR, QUI EST CELUI OU DIEU SE REPOSE APRÈS L’ACCOMPLISSEMENT DE SES OUVRAGES.

Quant au septième jour, c’est-à-dire au

  1. Au chap. 7.
  2. Toute cette doctrine psychologique et métaphysique de la connaissance est parfaitement conforme à la théorie des Idées, telle qu’on la trouve exposée dans le Timée. Voyez surtout au tome XI de la traduction française les pages 120 et suiv.
  3. Gen. I, 31.
  4. Ces idées étranges sur la vertu des nombres étaient alors fort répandues, et l’école d’Alexandrie, qui les empruntait en les exagérant à la tradition pythagoricienne, avait singulièrement contribué à les mettre en honneur.
  5. Comp. saint Augustin, De Gen. ad litt., n. 2-7, et De Trin., lib. IV, n. 31-37.
  6. Sag. XI, 21.