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LIVRE XI. — ORIGINE DES DEUX CITÉS.

mal à l’avantage des justes et relèverait la beauté de l’univers par l’opposition des contraires, comme on embellit un poëme par les antithèses. C’est, en effet, une des plus brillantes parures du discours que l’antithèse, et si ce mot n’est pas encore passé dans la langue latine, la figure elle-même, je veux dire l’opposition ou le contraste, n’en fait pas moins l’ornement de cette langue ou plutôt de toutes les langues du monde[1]. Saint Paul s’en est servi dans ce bel endroit de la seconde épître aux Corinthiens : « Nous agissons en toutes choses comme de fidèles serviteurs de Dieu,… par les armes de justice pour combattre à droite et à gauche, parmi la gloire et l’infamie, parmi les calomnies et les louanges, semblables à des séducteurs et sincères, à des inconnus et connus de tous, toujours près de subir la mort et toujours vivants, sans cesse frappés, mais non exterminés, tristes et toujours dans la joie, pauvres et enrichissant nos frères, n’ayant rien et possédant tout[2] ». Comme l’opposition de ces contraires fait ici la beauté du langage, de même la beauté du monde résulte d’une opposition, mais l’éloquence n’est plus seulement dans les mots, elle est dans les choses. C’est ce qui est clairement exprimé dans ce passage de l’Ecclésiastique : « Le bien est contraire au mal, et la mort à la vie ; ainsi le pécheur à l’homme pieux ; regarde toutes les œuvres du Très-Haut : elles vont ainsi deux à deux, et l’une contraire à l’autre[3] ».

CHAPITRE XIX.
CE QU’IL FAUT ENTENDRE PAR CES PAROLES DE L’ÉCRITURE : « DIEU SÉPARA LA LUMIÈRE DES TÉNÈBRES ».

L’obscurité même de l’Ecriture a cet avantage, que l’on peut d’un passage tirer divers sens, tous conformes à la vérité, tous confirmés par le témoignage de choses manifestes ou par d’autres passages très-clairs, de sorte que, dans le cours d’un long travail, si on ne parvient pas à découvrir le véritable sens du texte, on a du moins l’occasion de proclamer d’autres vérités. C’est pourquoi je crois pouvoir proposer d’entendre par la création de la première lumière la création des anges, et de voir la distinction des bons et des mauvais dans ces paroles : « Dieu sépara la lumière des ténèbres, et nomma la lumière jour et les ténèbres nuit[4] ». En effet, celui-là seul a pu les séparer qui a pu prévoir leur chute et connaître qu’ils demeureraient obstinés dans leur présomptueux aveuglement. Quant au jour proprement dit et à la nuit, Dieu les sépara par ces deux grands astres qui frappent nos sens : « Que les astres, dit-il, soient faits dans le firmament du ciel pour luire sur la terre et séparer le jour de la nuit[5] ». Et un peu après : « Dieu fit deux grands astres, l’un plus grand pour présider au jour, et l’autre moindre pour présider à la nuit avec les étoiles ; Dieu les mit dans le firmament du ciel pour luire sur la terre, et présider au jour et à la nuit, et séparer la lumière des ténèbres[6] ». Mais cette lumière, qui est la sainte société des anges, toute éclatante des splendeurs de la vérité intelligible, et ces ténèbres qui lui sont contraires, c’est-à-dire ces esprits corrompus, ces mauvais anges éloignés par leur faute de la lumière de la justice, je répète que celui-là seul pouvait opérer leur séparation, à qui le mal à venir (mal de la volonté, non de la nature) n’a pu être, avant de se produire, douteux ou caché.

CHAPITRE XX.
EXPLICATION DE CE PASSAGE : « ET DIEU VIT QUE LA LUMIÈRE ÉTAIT BONNE ».

Il importe de remarquer aussi qu’après cette parole : « Que la lumière soit faite, et la lumière fut faite[7] », l’Ecriture ajoute aussitôt : « Et Dieu vit que la lumière était bonne[8] ». Or, elle n’ajoute pas cela après que Dieu eût séparé la lumière des ténèbres et appelé la lumière jour et les ténèbres nuit. Pourquoi ? c’est que Dieu aurait paru donner également son approbation à ces ténèbres et à cette lumière. Quant aux ténèbres matérielles, incapables par conséquent de faillir, qui, à l’aide des astres, sont séparées de cette lumière sensible qui éclaire nos yeux, l’Ecriture ne rapporte le témoignage de l’approbation de Dieu qu’après la séparation accomplie : « Et Dieu plaça ces astres dans le firmament du ciel pour luire sur la terre, présider au jour et à la nuit, et séparer la lumière des ténèbres. Et Dieu vit que cela était

  1. Comp. Quintilien, Instit., lib. IX, cap. 1, § 81.
  2. II Cor. VI, 4, 7, 9 et 10.
  3. Eccli. XXXIII, 1, 15.
  4. Gen. I, 4 et 5.
  5. Ibid. 14.
  6. Ibid. 16, 17 et 18.
  7. Gen. I, 3.
  8. Ibid. 4.