Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XIII.djvu/235

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
225
LIVRE XI. — ORIGINE DES DEUX CITÉS.

que sa lente et successive guérison le renouvelle et le rende capable d’une si grande félicité, il fallait qu’au préalable il fût pénétré et purifié par la foi. Et afin que par elle il marchât d’un pas plus ferme vers la vérité, la Vérité même, c’est-à-dire Dieu, Fils de Dieu, fait homme sans cesser d’être Dieu, a fondé et établi cette foi qui ouvre à l’homme la voie du Dieu de l’homme par l’homme-Dieu ; car c’est Jésus-Christ homme qui est médiateur entre Dieu et les hommes, et c’est comme homme qu’il est notre médiateur aussi bien que notre voie. En effet, quand il y a une voie entre celui qui marche et le lieu où il veut aller, il peut espérer d’aboutir ; mais quand il n’y en a point ou quand il l’ignore, à quoi lui sert de savoir où il faut aller ? Or, pour que l’homme ait une voie assurée vers le salut, il faut que le même principe soit Dieu et homme tout ensemble ; on va à lui comme Dieu, et comme homme, on va par lui.

CHAPITRE III.
DE L’AUTORITÉ DE L’ÉCRITURE CANONIQUE, OUVRAGE DE L’ESPRIT DIVIN.

Ce Dieu, après avoir parlé autant qu’il l’a jugé à propos, d’abord par les Prophètes, ensuite par lui-même et en dernier lieu par les Apôtres, a fondé en outre l’Ecriture, dite canonique, laquelle a une autorité si haute et s’impose à notre foi pour toutes les choses qu’il ne nous est pas bon d’ignorer et que nous sommes incapables de savoir par nous-mêmes. Aussi bien, s’il nous est donné de connaître directement les objets qui tombent sous nos sens, il n’en est pas de même pour ceux qui sont placés au-delà de leur portée, et alors il nous faut bien recourir à d’autres moyens d’information et nous en rapporter aux témoins. Hé bien ! ce que nous faisons pour les objets des sens, nous devons aussi le faire pour les objets de l’intelligence ou du sens intellectuel. Et par conséquent, nous ne saurions nous empêcher d’ajouter foi, pour les choses invisibles qui ne tombent point sous les sens extérieurs, aux saints qui les ont vues ou aux anges qui les voient sans cesse dans la lumière immuable et incorporelle.

CHAPITRE IV.
LE MONDE N’A PAS ÉTÉ CRÉÉ DE TOUTE ÉTERNITÉ, SANS QU’ON PUISSE DIRE QU’EN LE CRÉANT DIEU AIT FAIT SUCCÉDER UNE VOLONTÉ NOUVELLE A UNE AUTRE VOLONTÉ ANTÉRIEURE.

Le monde est le plus grand de tous les êtres visibles, comme le plus grand de tous les invisibles est Dieu ; mais nous voyons le monde et nous croyons que Dieu est. Or, que Dieu ait créé le monde, nous n’en pouvons croire personne plus sûrement que Dieu même, qui dit dans les Écritures saintes par la bouche du Prophète : « Dans le principe, Dieu créa le ciel et la terre[1] ». Il est incontestable que le Prophète n’assistait pas à cette création ; mais la sagesse de Dieu, par qui toutes choses ont été faites[2], était présente ; et c’est elle qui pénètre les âmes des saints, les fait amis et prophètes de Dieu[3], et leur raconte ses œuvres intérieurement et sans bruit. Ils conversent aussi avec les anges de Dieu, qui voient toujours la face du Père et qui annoncent sa volonté à ceux qui leur sont désignés. Du nombre de ces prophètes était celui qui a écrit : « Dans le principe, Dieu créa le ciel et la terre », et nous devons d’autant plus l’en croire que le même Esprit qui lui a révélé cela lui a fait prédire aussi, tant de siècles à l’avance, que nous y ajouterions foi.

Mais pourquoi a-t-il plu au Dieu éternel de faire alors le ciel et la terre que jusqu’alors il n’avait pas faits[4] ? Si ceux qui élèvent cette objection veulent prétendre que le monde est éternel et sans commencement, et qu’ainsi Dieu ne l’a point créé, ils s’abusent étrangement et tombent dans une erreur mortelle. Sans parler des témoignages des Prophètes, le monde même proclame en silence, par ses révolutions si régulières et par la beauté de toutes les choses visibles, qu’il a été créé, et qu’il n’a pu l’être que par un Dieu dont la grandeur et la beauté sont invisibles et ineffables. Quant à ceux[5] qui, tout en avouant qu’il est l’ouvrage de Dieu, ne veulent pas lui reconnaître un commencement de durée, mais un simple commencement de création, ce qui se terminerait à dire d’une

  1. Gen. I, 1.
  2. Sag. vii, 27.
  3. Matt. xviii, 10.
  4. Cette objection était familière aux Epicuriens, comme nous l’apprend Cicéron (De nat. Deor., lib. i, cap. 9) ; reprise par les Manichéens, elle a été combattue plusieurs fois par saint Augustin. Voyez De Gen. contra Man., lib. i, n. 3.
  5. Saint Augustin s’adresse ici, non plus aux Epicuriens, ou aux Manichéens, mais aux néo-platoniciens d’Alexandrie.