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LIVRE X. — LE CULTE DE LATRIE.

rétracter ? C’est encore un vice des orgueilleux. Ils rougissent, ces savants hommes, ces disciples de Platon, de devenir disciples de ce Jésus-Christ qui a mis dans la bouche d’un simple pêcheur pénétré de son esprit cette parole : « Au commencement était le Verbe, et le Verbe était en Dieu, et le Verbe était Dieu. Il était au commencement en Dieu. Toutes choses ont été faites par lui, et rien de ce qui a été fait n’a été fait sans lui. Ce qui a été fait était vie en lui, et la vie était la lumière des hommes, et la lumière luit dans les ténèbres, et les ténèbres ne l’ont point comprise[1] ». Voilà ce début de l’Evangile de saint Jean, qu’un philosophe platonicien aurait voulu voir écrit en lettres d’or dans toutes les églises au lieu le plus apparent, comme aimait à nous le raconter le saint vieillard Simplicien[2], qui a été depuis évêque de Milan. Mais les superbes ont dédaigné de prendre ce Dieu pour maître, parce qu’il s’est fait chair et a habité parmi nous ; de sorte que c’est peu d’être malade pour ces misérables, il faut encore qu’ils se glorifient de leur maladie et qu’ils rougissent du médecin qui seul pourrait les guérir. Ils travaillent pour s’élever et n’aboutissent qu’à se préparer une chute plus terrible.

CHAPITRE XXX.
SUR COMBIEN DE POINTS PORPHYRE A RÉFUTÉ ET CORRIGÉ LA DOCTRINE DE PLATON.

Si l’on croit qu’après Platon il n’y a rien à changer en philosophie, d’où vient que sa doctrine a été modifiée par Porphyre en plusieurs points qui ne sont pas de peu de conséquence ? Par exemple, Platon a écrit, cela est certain, que les âmes des hommes reviennent après la mort sur la terre, et jusque dans le corps des bêtes[3]. Cette opinion a été adoptée par Plotin[4], le maître de Porphyre. Eh bien ! Porphyre l’a condamnée, et non sans raison. Il a cru avec Platon que les âmes humaines retournent dans de nouveaux corps, mais dans des corps humains, de peur, sans doute, qu’il n’arrivât à une mère devenue mule de servir de monture à son enfant. Porphyre oublie par malheur que dans son système une mère devenue jeune fille est exposée à rendre son fils incestueux. Combien est-il plus honnête de croire ce qu’ont enseigné les saints anges, les prophètes inspirés du Saint-Esprit et les Apôtres envoyés par toute la terre : que les âmes, au lieu de retourner tant de fois dans des corps différents, ne reviennent qu’une seule fois et dans leur propre corps ? Il est vrai cependant que Porphyre a très-fortement corrigé l’opinion de Platon, en admettant seulement la transmigration des âmes humaines dans des corps humains, et en refusant nettement de les emprisonner dans des corps de bêtes. Il dit encore que Dieu a mis l’âme dans le monde pour que, voyant les maux dont la matière est le principe, elle retournât au Père et fût affranchie pour jamais d’une semblable contagion. Encore qu’il y ait quelque chose à reprendre dans cette opinion (car l’âme a été mise dans le corps pour faire le bien, et elle ne connaîtrait point le mal, si elle ne le faisait pas). Porphyre a néanmoins amendé sur un point considérable la doctrine des autres Platoniciens, quand il a reconnu que l’âme purifiée de tout mal et réunie au Père serait éternellement à l’abri des maux d’ici-bas. Par là, il a renversé ce dogme éminemment platonicien, que les vivants naissent toujours des morts, comme les morts des vivants[5] ; par là il a convaincu de fausseté cette tradition, empruntée, à ce qu’il semble, par Virgile au platonisme, que les âmes devenues pures sont envoyées aux Champs-Elysées (symbole des joies des bienheureux), après avoir bu dans les eaux du Léthé[6] l’oubli du passé : « Afin, dit le poëte, que dégagées de tout souvenir elles consentent à revoir la voûte céleste et à recommencer dans des corps une vie nouvelle[7] ».

Porphyre a justement répudié cette doctrine ; car il est vraiment absurde que les âmes désirent quitter une vie où elles ne pourraient être bienheureuses qu’avec la certitude d’y persévérer toujours, et cela pour retourner en ce monde et rentrer dans des corps corruptibles, comme si leur suprême purification ne faisait que rendre nécessaire une nouvelle souillure. Dire que la purification efface réellement de leur mémoire tous les maux passés, et ajouter que cet oubli les porte

  1. Jean, i, 1-5.
  2. Simplicien a été le successeur de saint Ambroise (Voyez saint Augustin, Conf., lib. viii, cap. 2, n. 4. — De Prœdest. sanct., n. 4).
  3. Voyez le Phèdre, le Phédon et le Timée.
  4. Ennéad., III, lib. iv, cap. 2.
  5. Ce dogme est plus encore pythagoricien que platonicien. Voyez le Phédon.
  6. Voyez Républ., livre x.
  7. Virgile, Enéide, livre vi, vers 750, 751.