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LIVRE X. — LE CULTE DE LATRIE.

Je te sais gré du moins d’avoir déclaré que la théurgie est un art redoutable, soit à cause des lois qui l’interdisent, soit par la nature même de ses pratiques. Et plût à Dieu que cet avertissement fût entendu de ses malheureux partisans et les fît tomber ou s’arrêter devant l’abîme ! Tu dis à la vérité qu’il n’y a point de télètes qui guérissent de l’ignorance et de tous les vices qu’elle amène avec soi, et que cette guérison ne peut s’accomplir que par le Παθρικὀν Νοῠν, c’est-à-dire par l’Intelligence du Père, laquelle a conscience de sa volonté ; mais tu ne veux pas croire que le Christ soit cette Intelligence du Père, et lu le méprises à cause du corps qu’il a pris d’une femme et de l’opprobre de la croix ; car ta haute sagesse, dédaignant et rejetant les choses viles, n’aime à s’attacher qu’aux objets les plus relevés. Mais lui, il est venu pour accomplir ce qu’avaient dit de lui les véridiques Prophètes : « Je détruirai la sagesse des sages, et j’anéantirai la prudence des prudents[1] ». Il ne détruit pas en effet, il n’anéantit pas la sagesse qu’il a donnée aux hommes, mais celle qu’ils s’arrogent et qui ne vient pas de lui. Aussi l’Apôtre, après avoir rapporté ce témoignage des Prophètes, ajoute : « Où sont les sages ? où sont les docteurs de la loi ? où sont les esprits curieux des choses du siècle ? Dieu n’a-t-il pas convaincu de folie la sagesse de ce monde ? Car le monde avec sa sagesse n’ayant point reconnu Dieu dans la sagesse de Dieu, il a plu à Dieu de sauver les croyants par la folie de la prédication. Les Juifs demandent des miracles, et les Gentils cherchent la sagesse, et nous, nous prêchons Jésus-Christ crucifié, qui est un scandale pour les Juifs et une folie pour les Gentils, mais qui pour tous les appelés, Juifs ou Gentils, est la vertu et la sagesse de Dieu ; car ce qui paraît folie en Dieu est plus sage que les hommes, et ce qui paraît faible en Dieu est plus puissant que les hommes[2] ». C’est cette folie et cette faiblesse apparentes que méprisent ceux qui se croient forts et sages par leur propre vertu ; mais c’est aussi cette grâce qui guérit les faibles et tous ceux qui, au lieu de s’enivrer d’orgueil dans leur fausse béatitude, confessent leur trop réelle misère d’un cœur plein d’humilité.

CHAPITRE XXIX.
DE L’INCARNATION DE NOTRE-SEIGNEUR JÉSUS-CHRIST REPOUSSÉE PAR L’ORGUEIL IMPIE DES PLATONICIENS.

Tu reconnais hautement le Père, ainsi que son Fils que tu appelles l’Intelligence du Père, et enfin un troisième principe, qui tient le milieu entre les deux autres et où il semble que tu reconnaisses le Saint-Esprit. Voilà, pour dire comme vous, les trois dieux. Si peu exact que soit ce langage, vous apercevez pourtant, comme à travers l’ombre d’un voile, le but où il faut aspirer ; mais le chemin du salut, mais le Verbe immuable fait chair, qui seul peut nous élever jusqu’à ces objets de notre foi où notre intelligence n’atteint qu’à peine, voilà ce que vous ne voulez pas reconnaître. Vous entrevoyez, quoique de loin et d’un œil offusqué par les nuages, la patrie où il faut se fixer ; mais vous ne marchez pas dans la voie qui y conduit. Vous confessez pourtant la grâce, quand vous reconnaissez qu’il a été donné à un petit nombre de parvenir à Dieu par la force de l’intelligence. Tu ne dis pas en effet : Il a plu à un petit nombre, ou bien : Un petit nombre a voulu, mais : Il a été donné à un petit nombre, et en parlant ainsi, tu reconnais expressément l’insuffisance de l’homme et la grâce de Dieu. Tu parles encore de la grâce en termes plus clairs dans ce passage où, commentant Platon, tu affirmes avec lui qu’il est impossible à l’homme de parvenir en cette vie à la perfection de la sagesse[3], mais que la Providence et la grâce de Dieu peuvent après cette vie achever ce qui manque dans les hommes qui auront vécu selon la raison. Oh ! si tu avais connu la grâce de Dieu par Jésus-Christ Notre-Seigneur, et ce mystère même de l’incarnation où le Verbe a pris l’âme et le corps de l’homme, tu aurais pu y voir le plus haut exemple de la grâce[4]. Mais que dis-je ? et pourquoi parler en vain à un homme qui n’est plus ? mes discours, je le sais, sont perdus pour toi ; mais ils ne le seront pas, j’espère, pour tes admirateurs, pour ces hommes qu’enflamme l’amour de la sagesse ou la curiosité et qui t’aiment ; c’est à eux que je m’adresse en parlant à toi, et peut-être ne sera-ce pas en vain !

  1. Abd. 8 ; Isa. xxix, 14.
  2. I Cor. i, 20-25.
  3. Voyez le Phédon, trad. fr., tome i, p. 199 seq.
  4. Il semble résulter de ces paroles que Porphyre n’a pas été chrétien, quoi qu’on en ait dit, depuis l’historien Socrate jusqu’à nos