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LIVRE X. — LE CULTE DE LATRIE.

diateur a vaincu par son humilité, prenant la nature mortelle pour se montrer à des êtres mortels, tandis que les faux et méchants médiateurs, fiers de n’être pas sujets à la mort, se sont exaltés dans leur orgueil, et par le prestige de leur immortalité ont fait espérer à des êtres mortels un secours trompeur. Ce bon et véritable Médiateur a donc montré que le mal consiste dans le péché, et non dans la substance ou la nature de la chair, puisqu’il a pris la chair avec l’âme de l’homme sans prendre le péché, puisqu’il a vécu dans cette chair, et qu’après l’avoir quittée par la mort, il l’a reprise transfigurée dans sa résurrection. Il a montré aussi que la mort même, peine du péché, qu’il a subie pour nous sans avoir péché, ne doit pas être évitée par le péché, mais plutôt supportée à l’occasion pour la justice ; car s’il a eu la puissance de racheter nos péchés par sa mort, c’est qu’il est mort lui-même et n’est pas mort par son péché. Mais Porphyre n’a point connu le Christ comme Principe ; car autrement il l’eût connu comme purificateur. Le Principe, en effet, dans le Christ, ce n’est pas la chair ou l’âme humaine, mais bien le Verbe par qui tout a été fait. D’où il suit que la chair du Christ ne purifie point par elle-même, mais par le Verbe qui a pris cette chair, quand « le Verbe s’est fait chair et a habité parmi nous[1] ». C’est pourquoi, quand Jésus parlait dans un sens mystique de la manducation de sa chair, plusieurs qui l’écoutaient sans le comprendre s’étant retirés en s’écriant : « Ces paroles sont dures ; est-il possible de les écouter ? » il dit à ceux qui restèrent auprès de lui : « C’est l’esprit qui vivifie ; la chair ne sert de rien[2] ». Il faut conclure que c’est le Principe qui, en prenant une chair et une âme, purifie l’âme et la chair des fidèles, et voilà le sens de la réponse de Jésus aux Juifs qui lui demandaient qui il était : « Je suis le Principe[3] ». Nous-mêmes, faibles que nous sommes, charnels et pécheurs, nous ne pourrions, enveloppés dans les ténèbres de l’ignorance, comprendre cette parole, si le Christ ne nous avait doublement purifiés et par ce que nous étions et par ce que nous n’étions pas ; car nous étions hommes, et nous n’étions pas justes, et dans l’Incarnation il y a l’homme, mais juste et sans péché. Voilà le Médiateur qui nous a tendu la main pour nous relever, quand nous étions tombés et gisants par terre ; voilà la semence organisée par le ministère des anges[4], promulgateurs de la loi qui contenait tout ensemble le commandement d’obéir à un seul Dieu et la promesse du médiateur à venir.

CHAPITRE XXV.
TOUS LES SAINTS QUI ONT VÉCU SOUS LA LOI ÉCRITE ET DANS LES TEMPS ANTÉRIEURS ONT ÉTÉ JUSTIFIÉS PAR LA FOI EN JÉSUS-CHRIST.

C’est par leur foi en ce mystère, accompagnée de la bonne vie, que les justes des anciens jours ont pu être purifiés, soit avant la loi de Moïse (car en ce temps Dieu et les anges leur servaient de guides), soit même sous cette loi, bien qu’elle ne renfermât que des promesses temporelles, simple figure de promesses plus hautes, ce qui a fait donner à la loi de Moïse le nom d’Ancien Testament. Il y avait alors, en effet, des Prophètes dont la voix, comme celle des anges, publiait la céleste promesse, et de ce nombre était celui dont j’ai cité plus haut cette divine sentence touchant le souverain bien de l’homme : « Être uni à Dieu, voilà mon bien[5] ». Le psaume d’où elle est tirée distingue assez clairement les deux Testaments, l’ancien et le nouveau ; car le prophète dit que la vue de ces impies qui nagent dans l’abondance des biens temporels a fait chanceler ses pas, comme si le culte fidèle qu’il avait rendu à Dieu eût été chose vaine, en présence de la félicité des contempteurs de la loi. Il ajoute qu’il s’est longtemps consumé à comprendre ce mystère, jusqu’au jour où, entré dans le sanctuaire de Dieu, il a vu la fin de cette trompeuse félicité. Il a compris alors que ces hommes, par cela même qu’ils se sont élevés, ont été abaissés, qu’ils ont péri à cause de leurs iniquités, et que ce comble de félicité temporelle a été comme le songe d’un homme qui s’éveille et tout à coup se trouve privé des joies dont le berçait un songe trompeur. Et comme dans cette cité de la terre, ils étaient pleins du sentiment de leur grandeur, le Psalmiste parle ainsi : «Seigneur, vous anéantirez leur image dans votre Cité[6] ». Il montre toutefois combien il lui a été avantageux de n’attendre les biens mêmes de la terre que du seul vrai Dieu, quand il dit : « Je suis devenu semblable, devant vous, à une bête

  1. Jean, i, 14.
  2. Jean, vi, 61, 64.
  3. Jean, viii, 25.
  4. Galat. iii, 19.
  5. Ps. lxii, 28.
  6. Ibid. 20.