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LIVRE X. — LE CULTE DE LATRIE.

peuple entra dans la terre de promission, le Jourdain s’ouvrit pour donner passage à l’arche aussi bien qu’à toute l’armée[1]. Cette même arche ayant été portée sept fois autour de la première ville ennemie qu’on rencontra (laquelle adorait plusieurs dieux à l’instar des Gentils), les murailles tombèrent d’elles-mêmes sans être ébranlées ni par la sape ni par le bélier[2]. Depuis, à une époque où les Israélites étaient déjà établis dans la terre promise, il arriva que l’arche fut prise en punition de leurs péchés, et que ceux qui s’en étaient emparés l’enfermèrent avec honneur dans le temple du plus considérable de leurs dieux[3]. Or, le lendemain, à l’ouverture du temple, ils trouvèrent la statue du dieu renversée par terre et honteusement fracassée. Divers prodiges et la plaie honteuse dont ils furent frappés les engagèrent dans la suite à restituer l’arche de Dieu. Mais comment fut-elle rendue ? ils la mirent sur un chariot, auquel ils attelèrent des vaches dont ils eurent soin de retenir les petits, puis ils laissèrent aller ces animaux à leur gré, pour voir s’il se produirait quelque chose de divin. Or, les vaches, sans guide, sans conducteur, malgré les cris de leurs petits affamés, marchèrent droit en Judée et rendirent aux Hébreux l’arche mystérieuse. Ce sont là de petites choses au regard de Dieu ; mais elles sont grandes par l’instruction et la terreur salutaire qu’elles doivent donner aux hommes. Si certains philosophes, et à leur tête les Platoniciens, ont montré plus de sagesse et mérité plus de gloire que tous les autres, pour avoir enseigné que la Providence divine descend jusqu’aux derniers êtres de la nature, et fait éclater sa splendeur dans l’herbe des champs aussi bien que dans les corps des animaux, comment ne pas se rendre aux témoignages miraculeux d’une religion qui ordonne de sacrifier à Dieu seul, à l’exclusion de toute créature du ciel, de la terre et des enfers ? Et quel est le Dieu de cette religion ? Celui qui peut seul faire notre bonheur par l’amour qu’il nous porte et par l’amour que nous lui rendons, celui qui, bornant le temps des sacrifices de l’ancienne loi dont il avait prédit la réforme par un meilleur pontife, a témoigné qu’il ne les désire pas pour eux-mêmes, et que s’il les avait ordonnés, c’était comme figure de sacrifices plus parfaits ; car enfin Dieu ne veut pas notre culte pour en tirer de la gloire, mais pour nous unir étroitement à lui, en nous enflammant d’un amour qui fait notre bonheur et non pas le sien.

CHAPITRE XVIII.
CONTRE CEUX QUI NIENT QU’IL FAILLE S’EN FIER AUX LIVRES SAINTS TOUCHANT LES MIRACLES ACCOMPLIS POUR L’INSTRUCTION DU PEUPLE DE DIEU.

S’avisera-t-on de dire que ces miracles sont faux et supposés ? quiconque parle de la sorte et prétend qu’en fait de miracles il ne faut s’en fier à aucun historien, peut aussi bien prétendre qu’il n’y a point de dieux qui se mêlent des choses de ce monde. C’est par des miracles, en effet, que les dieux ont persuadé aux hommes de les adorer, comme l’atteste l’histoire des Gentils, et nous y voyons les dieux plus occupés de se faire admirer que de se rendre utiles. C’est pourquoi nous n’avons pas entrepris dans cet ouvrage de réfuter ceux qui nient toute existence divine ou qui croient la divinité indifférente aux événements du monde, mais ceux qui préfèrent leurs dieux au Dieu fondateur de l’éternelle et glorieuse Cité, ne sachant pas qu’il est pareillement le fondateur invisible et immuable de ce monde muable et visible, et le véritable dispensateur de cette félicité qui réside en lui-même et non pas en ses créatures. Voilà le sens de ce mot du très-véridique prophète : « Etre uni à Dieu, voilà mon bien[4] ». Je reviens sur cette citation, parce qu’il s’agit ici de la fin de l’homme, de ce problème tant controversé entre les philosophes, de ce souverain bien où il faut rapporter tous nos devoirs. Le Psalmiste ne dit pas : Mon bien, c’est de posséder de grandes richesses, ou de porter la pourpre, le sceptre et le diadème ; ou encore, comme quelques philosophes n’ont point rougi de le dire : Mon bien, c’est de jouir des voluptés du corps ; ou même enfin, suivant l’opinion meilleure de philosophes meilleurs : Mon bien, c’est la vertu de mon âme ; non, le Psalmiste le déclare : Le vrai bien, c’est d’être uni à Dieu. Il avait appris cette vérité de celui-là même que les anges, par des miracles incontestables, lui avaient appris à adorer exclusivement. Aussi était-il lui-même le sacrifice de Dieu, puisqu’il était consumé du feu de son amour et

  1. Jos. iii, 16, 17.
  2. Jos. vi, 20.
  3. I Rois, iv-vi.
  4. Ps. Lxxii, 28.