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LIVRE X. — LE CULTE DE LATRIE.

qui veut s’instruire et propose humblement des questions que de combattre ouvertement la superstition et d’affecter l’autorité superbe d’un docteur. Il finit sa lettre en priant Anébon de lui enseigner comment la science des Égyptiens peut conduire à la béatitude. Du reste, quant à ceux dont tout le commerce avec les dieux se réduit à obtenir leur secours pour un esclave fugitif à recouvrer, ou pour l’acquisition d’une terre, ou pour un mariage, il déclare sans hésiter qu’ils n’ont que la vaine apparence de la sagesse ; et alors même que les puissances évoquées pour une telle fin feraient des prédictions vraies touchant d’autres événements, du moment qu’elles n’ont rien de certain à dire aux hommes en ce qui regarde la béatitude véritable, Porphyre, loin de les reconnaître pour des dieux ou pour de bons démons, n’y voit autre chose que l’esprit séducteur ou une pure illusion.

CHAPITRE XII.
DES MIRACLES QU’OPÈRE LE VRAI DIEU PAR LE MYSTÈRE DES SAINTS ANGES.

Toutefois, comme il se fait par le moyen de ces arts illicites un grand nombre de prodiges qui surpassent la mesure de toute puissance humaine, que faut-il raisonnablement penser, sinon que ces prédictions et opérations qui se font d’une manière miraculeuse et comme surnaturelle, et qui n’ont cependant pas pour objet de glorifier le seul être où réside, du propre aveu des Platoniciens, le vrai bien et la vraie béatitude, tout cela, dis-je, n’est que piéges des démons et illusions dangereuses dont une piété bien entendue doit nous préserver ? Au contraire, nous devons croire que les miracles et toutes les œuvres surnaturelles faites par les anges ou autrement, qui ont pour objet la gloire du seul vrai Dieu, source unique de la béatitude, s’opèrent en effet par l’entremise de ceux qui nous aiment selon la vérité et la piété, et que Dieu se sert pour cela de leur ministère. N’écoutons point ceux qui ne peuvent souffrir qu’un Dieu invisible fasse des miracles visibles, puisque, de leur propre aveu, c’est Dieu qui a fait le monde, c’est-à-dire une œuvre incontestablement visible. Et certes tout ce qui arrive de miraculeux dans l’univers est moins miraculeux que l’univers lui-même, qui embrasse le ciel, la terre et toutes les créatures. Comment cet univers a-t-il été fait ? c’est ce qui nous est aussi obscur et aussi incompréhensible que la nature de son auteur. Mais bien que le miracle permanent de l’univers visible ait perdu de son prix par l’habitude où nous sommes de le voir, il suffit d’y jeter un coup d’œil attentif pour reconnaître qu’il surpasse les phénomènes les plus extraordinaires et les plus rares. Il y a, en effet, un miracle plus grand que tous les miracles dont l’homme est l’instrument, et c’est l’homme même. Voilà pourquoi Dieu, qui a fait les choses visibles, le ciel et la terre, ne dédaigne pas de faire dans le ciel et sur la terre des miracles visibles, afin d’exciter l’âme encore attachée aux choses visibles à adorer son invisible créateur ; et quant au lieu et au temps où ces miracles s’accomplissent, cela dépend d’un conseil immuable de sa sagesse, où les temps à venir sont d’avance disposés et comme accomplis. Car il meut les choses temporelles sans être mû lui-même dans le temps ; il ne connaît pas ce qui doit se faire autrement que ce qui est fait ; il n’exauce pas qui l’invoque autrement qu’il ne voit qui le doit invoquer. Quand ses anges exaucent une prière, il l’exauce en eux comme en son vrai temple, qui n’est pas l’œuvre d’une main mortelle et où il habite comme il habite aussi dans l’âme des saints. Enfin, les volontés divines s’accomplissent dans le temps ; Dieu les forme et les conçoit dans l’éternité.

CHAPITRE XIII.
INVISIBLE EN SOI, DIEU S’EST RENDU SOUVENT VISIBLE, NON TEL QU’IL EST, MAIS TEL QUE LES HOMMES LE POUVAIENT VOIR.

On ne doit pas trouver étrange que Dieu, tout invisible que soit son essence, ait souvent apparu sous une forme visible aux patriarches. Car, comme le son de la voix, qui fait éclater au dehors la pensée conçue dans le silence de l’entendement, n’est pas la pensée même, ainsi la forme sous laquelle Dieu, invisible en soi, s’est montré visible, était autre chose que Dieu ; et cependant c’est bien lui qui apparaissait sous cette forme corporelle, comme c’est bien la pensée qui se fait entendre dans le son de la voix. Les patriarches eux-mêmes n’ignoraient pas qu’ils voyaient Dieu sous une forme corporelle qui n’était pas lui. Ainsi, bien que Dieu parlât à Moïse et que Moïse lui répondît, Moïse ne laissait