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LIVRE X. — LE CULTE DE LATRIE.

place dans le ciel), cette âme, dis-je, n’a au-dessus de lui que Dieu, créateur du monde et de l’âme elle-même, qui est pour elle comme pour nous le principe de la béatitude et de la vérité[1]. Or, cette doctrine est parfaitement d’accord avec l’Evangile, où il est dit : « Il y eut un homme envoyé de Dieu qui s’appelait Jean. Il vint comme témoin pour rendre témoignage à la lumière, afin que tous crussent par lui. Il n’était pas la lumière, mais il vint pour rendre témoignage à celui à qui était la lumière. Celui-là était la vraie lumière qui illumine tout homme venant en ce monde[2] ». Cette distinction montre assez que l’âme raisonnable et intellectuelle, telle qu’elle était dans saint Jean, ne peut pas être à soi-même sa lumière, et qu’elle ne brille qu’en participant à la lumière véritable. C’est ce que reconnaît le même saint Jean, quand il ajoute, rendant témoignage à la lumière : « Nous avons tous reçu de sa plénitude[3] ».

CHAPITRE III.
BIEN QU’ILS AIENT CONNU LE CRÉATEUR DE L’UNIVERS, LES PLATONICIENS SE SONT ÉCARTÉS DU VRAI CULTE DE DIEU EN RENDANT LES HONNEURS DIVINS AUX BONS ET AUX MAUVAIS ANGES.

Cela étant, si les Platoniciens et les autres philosophes qui acceptent ces mêmes principes, connaissant Dieu, le glorifiaient comme Dieu et lui rendaient grâces, s’ils ne se perdaient pas dans leurs vaines pensées, s’ils n’étaient point complices des erreurs populaires, soit qu’ils en aient eux-mêmes semé le germe, soit qu’ils n’osent en surmonter l’entraînement, ils confesseraient assurément que ni les esprits immuables et bienheureux, ni les hommes mortels et misérables ne peuvent être ou devenir heureux qu’en servant cet unique Dieu des dieux, qui est le nôtre et le leur.

C’est à lui que nous devons, pour parler comme les Grecs, rendre le culte de latrie, soit dans les actes extérieurs, soit au dedans de nous ; car nous sommes son temple, tous ensemble comme chacun en particulier[4], et il daigne également prendre pour demeure et chaque fidèle et le corps de l’Église, sans être plus grand dans le tout que dans chaque partie, parce que sa nature est incapable de toute extension et de toute division. Quand notre cœur est élevé vers lui, il est son autel ; son Fils unique est le prêtre par qui nous le fléchissons ; nous lui immolons des victimes sanglantes, quand nous versons notre sang pour la vérité et pour lui ; l’amour qui nous embrase en sa présence d’une flamme sainte et pieuse lui est le plus agréable encens ; nous lui offrons les dons qu’il nous a faits, et nous nous offrons, nous nous rendons nous-mêmes à notre créateur ; nous rappelons le souvenir de ses bienfaits, par des fêtes solennelles, de peur que le temps n’amène l’ingratitude avec l’oubli ; enfin nous lui vouons sur l’autel de notre cœur, où rayonne le feu de la charité, une hostie d’humilité et de louange. C’est pour le voir, autant qu’il peut être vu, c’est pour être unis à lui que nous nous purifions de la souillure des péchés et des passions mauvaises, et que nous cherchons une consécration dans la vertu de son nom ; car il est la source de notre béatitude et la fin de tous nos désirs. Nous attachant donc à lui, ou plutôt nous y rattachant, au lieu de nous en détacher pour notre malheur, le méditant et le relisant sans cesse (d’où vient, dit-on[5], le mot religion), nous tendons vers lui par l’amour, afin de trouver en lui le repos et de posséder la béatitude en possédant la perfection. Ce souverain bien, en effet, dont la recherche a tant divisé les philosophes, n’est autre chose que l’union avec Dieu ; c’est en le saisissant, si on peut ainsi dire, par un embrassement spirituel, que l’âme devient féconde en véritables vertus. Aussi nous est-il ordonné d’aimer ce bien de tout notre cœur, de toute notre âme et de toute notre vertu. Vers lui doivent nous conduire ceux qui nous aiment ; vers lui nous devons conduire ceux que nous aimons. Et par là s’accomplissent ces deux commandements qui renferment la loi et les Prophètes : « Tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur et de tout ton esprit ». — « Tu aimeras ton prochain comme toi-même[6] ». Pour apprendre à l’homme à s’aimer lui-même comme il convient, une fin lui a été proposée à laquelle il doit rappor-

  1. Voyez Plotin, Ennéades, II, lib. ix, cap. 2 et 3. — Comp. ibid., III, lib. ix, cap. 1 ; lib. v, cap. 3 ; lib. viii, cap. 9.
  2. Jean, I, 6-9.
  3. Ibid. 16.
  4. I Cor. III, 16, 17.
  5. Dans ce passage étrange, saint Augustin paraît faire allusion à Cicéron, qui dérive quelque part religio de relegere : « Qui omnia quæ ad Dei cultum pertinerent diligenter pertractarent et quasi relegerent sunt dicti religiosi ex relegendo (De nat. Deor.II, 28) ». Lactance veut que religio vienne de religare (Inst.IV, 28).
  6. Matt. XXII, 37-40.