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LA CITÉ DE DIEU

du platonicien Apulée, que les démons sont des médiateurs entre les dieux que Dieu a faits, et les hommes qui sont également son ouvrage, et qu’ils transmettent aux dieux les prières des hommes, ainsi qu’aux hommes les faveurs des dieux. Car il serait par trop absurde que les dieux créés par l’homme eussent auprès des dieux que Dieu a faits, plus de pouvoir que n’en a l’homme, qui a aussi Dieu pour auteur. En effet, le démon qu’un homme a lié à une statue par un art impie, est devenu un dieu, mais pour cet homme seulement, et non pour tous les hommes. Quel est donc ce dieu qu’un homme ne saurait faire sans être aveugle, incrédule et impie ? Enfin, si les démons qu’on adore dans les temples et qui sont liés par je ne sais quel art à leurs images visibles, ne sont point des médiateurs et des interprètes entre les dieux et les hommes, soit à cause de leurs mœurs détestables, soit parce que les hommes, même en cet état d’ignorance, d’incrédulité et d’impiété où ils ont imaginé de faire des dieux, sont d’une nature supérieure à ces démons enchaînés par leur art au corps des idoles, il s’ensuit finalement que ces prétendus dieux n’ont de pouvoir qu’à titre de démons, et que dès lors ils nuisent ouvertement aux hommes, ou que, s’ils semblent leur faire du bien, c’est pour leur nuire encore plus en les trompant. Remarquons toutefois qu’ils n’ont ce double pouvoir qu’autant que Dieu le permet par un conseil secret et profond de la Providence, et non pas en qualité de médiateurs et d’amis des dieux. Ils ne sauraient, en effet, être amis de ces dieux excellents que nous appelons Anges, Trônes, Dominations, Principautés, Puissances, toutes créatures raisonnables qui habitent le ciel, et dont ils sont aussi éloignés par la disposition de leur âme, que le vice l’est de la vertu et la malice de la bonté.

CHAPITRE XXV.
DE CE QU’IL PEUT Y AVOIR DE COMMUN ENTRE LES SAINTS ANGES ET LES HOMMES.

Ce n’est donc point par la médiation des démons que nous devons aspirer à la bienveillance et aux bienfaits des dieux, ou plutôt des bons anges, mais par l’imitation de leur bonne volonté ; de la sorte, en effet, nous sommes avec eux, nous vivons avec eux et nous adorons avec eux le Dieu qu’ils adorent, bien que nous ne puissions le voir avec les yeux du corps. Aussi bien, la distance des lieux n’est pas tant ce qui nous sépare des anges, que l’égarement de notre volonté et la défaillance de notre misérable nature. Et si nous ne sommes point unis avec eux, la raison n’en est pas dans notre condition charnelle et terrestre, mais dans l’impureté de notre cœur, qui nous attache à la terre et à la chair. Mais, quand arrive pour nous la guérison, quand nous devenons semblables aux anges, alors la foi nous rapproche d’eux, pourvu que nous ne doutions pas que par leur assistance Celui qui les a rendus bienheureux fera aussi notre bonheur.

CHAPITRE XXVI.
TOUTE LA RELIGION DES PAÏENS SE RÉDUISAIT À ADORER DES HOMMES MORTS.

Quand il déplore la ruine future de ce culte, qui pourtant, de son propre aveu, ne doit son existence qu’à des hommes pleins d’erreurs, d’incrédulité et d’irréligion, notre égyptien écrit ces mots dignes de remarque : « Alors cette terre, sanctifiée par les temples et les autels, sera remplie de sépulcres et de morts ». Comme si les hommes ne devaient pas toujours être sujets à mourir, alors même que l’idolâtrie n’eût pas succombé ! comme si on pouvait donner aux morts une autre place que la terre ! comme si le progrès du temps et des siècles, en multipliant le nombre des morts, ne devait pas accroître celui des tombeaux ! Mais le véritable sujet de sa douleur, c’est qu’il prévoyait sans doute que les monuments de nos martyrs devaient succéder à leurs temples et à leurs autels ; et peut-être, en lisant ceci, nos adversaires vont-ils se persuader, dans leur aversion pour les chrétiens et dans leur perversité, que nous adorons les morts dans les tombeaux comme les païens adoraient leurs dieux dans les temples. Car tel est l’aveuglement de ces impies, qu’ils se heurtent, pour ainsi dire, contre des mensonges, et ne veulent pas voir des choses qui leur crèvent les yeux. Ils ne considèrent pas que, de tous les dieux dont il est parlé dans les livres des païens, à peine s’en trouve-t-il qui n’aient été des hommes, ce qui ne les empêche pas de leur rendre les honneurs divins. Je ne veux pas m’appuyer ici du témoignage de Varron, qui assure que tous les morts étaient regardés comme des dieux