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LIVRE VIII. — THÉOLOGIE NATURELLE.

dieux, et prévoit avec douleur le temps où les lois humaines elles-mêmes aboliront ces fausses divinités instituées par les hommes, quand ce même personnage vient confesser ouvertement les causes de cette idolâtrie savoir : l’erreur, l’incrédulité et l’oubli de la religion véritable, que devons-nous dire, ou plutôt que devons-nous faire, sinon rendre des actions de grâces immortelles au Seigneur notre Dieu, pour avoir renversé ce culte sacrilége par des causes toutes contraires à celles qui le firent établir ? Car, ce qui avait été établi par l’erreur a été renversé par la vérité ; ce qui avait été établi par l’incrédulité a été renversé par la foi ; ce qui avait été établi par la haine du culte véritable a été rétabli par l’amour du seul vrai Dieu. Ce merveilleux changement ne s’est pas opéré seulement en Égypte, unique objet des lamentations que l’esprit des démons inspire à Trismégiste ; il s’est étendu à toute la terre, qui chante au Seigneur un nouveau cantique, selon cette prédiction des Écritures vraiment saintes et vraiment prophétiques : « Chantez au Seigneur un cantique nouveau, chantez au Seigneur, peuples de toute la terre[1] ». Aussi le titre de ce psaume porte-t-il : « Quand la maison s’édifiait après la captivité ». En effet la maison du Seigneur, cette Cité de Dieu qui est la sainte Église, s’édifie par toute la terre, après la captivité où les démons retenaient les vrais croyants, devenus maintenant les pierres vivantes de l’édifice. Car, bien que l’homme fût l’auteur de ses dieux, cela n’empêchait pas qu’il ne leur fût soumis par le culte qu’il leur rendait et qui le faisait entrer dans leur société, je parle de la société des démons, et non de celle de ces idoles sans vie. Que sont en effet les idoles, sinon des êtres « qui ont eu des yeux et ne voient pas », suivant la parole de l’Écriture[2], et qui, pour être des chefs-d’œuvre de l’art, n’en restent pas moins dépourvus de sentiment et de vie ? Mais les esprits immondes, liés à ces idoles par un art détestable, avaient misérablement asservi les âmes de leurs adorateurs en se les associant. C’est pourquoi l’Apôtre dit : « Nous savons qu’une idole n’est rien et c’est aux démons, et non à Dieu, que les gentils offrent leurs victimes. Or, je ne veux pas que vous ayez aucune société avec les démons[3] ». C’est donc après cette captivité qui asservissait les hommes aux démons, que la maison de Dieu s’édifie par toute la terre, et de là le titre du psaume où il est dit : « Chantez au Seigneur un cantique nouveau ; chantez au Seigneur, peuples de toute la terre ; chantez au Seigneur et bénissez son saint nom ; annoncez dans toute la suite des jours son assistance salutaire ; annoncez sa gloire parmi les nations et ses merveilles au milieu de tous les peuples ; car le Seigneur est grand et infiniment louable ; il est plus redoutable que tous les dieux, car tous les dieux des gentils sont des démons, mais le Seigneur a fait les cieux[4] ».

Ainsi, celui qui s’affligeait de prévoir un temps où le culte des idoles serait aboli, et où les démons cesseraient de dominer sur leurs adorateurs, souhaitait, sous l’inspiration de l’esprit du mal, que cette captivité durât toujours, au lieu que le psalmiste célèbre le moment où elle finira et où une maison sera édifiée par toute la terre. Trismégiste prédisait donc en gémissant ce que le Prophète prédit avec allégresse ; et comme le Saint-Esprit qui anime les saints Prophètes est toujours victorieux, Trismégiste lui-même a été miraculeusement contraint d’avouer que les institutions dont la ruine lui causait tant de douleur, n’avaient pas été établies par des hommes sages, fidèles et religieux, mais par des ignorants, des incrédules et des impies. Il a beau appeler les idoles des dieux ; du moment qu’il avoue qu’elles sont l’ouvrage d’hommes auxquels nous ne devons pas nous rendre semblables, par là même il confesse, malgré qu’il en ait, qu’elles ne doivent point être adorées par ceux qui ne ressemblent pas à ces hommes, c’est-à-dire qui sont sages, croyants et religieux. Il confesse, en outre, que ceux mêmes qui ont inventé l’idolâtrie ont consenti à reconnaître pour dieux des êtres qui ne sont point dieux, suivant cette parole du Prophète : « Si l’homme se fait des dieux, ce ne sont point des dieux véritables[5] ». Lors donc que Trismégiste appelle dieux de tels êtres, reconnus par de tels adorateurs et formés par de tels ouvriers, lorsqu’il prétend que des démons, qu’un art ténébreux a attachés à de certains simulacres par le lien de leurs passions, sont des dieux de fabrique humaine, il ne va pas du moins jusqu’à cette opinion absurde

  1. Ps. XCV, 1.
  2. Id. CXIII, 5.
  3. I Cor. VIII, 4 ; X, 20.
  4. Ps. XCV, 1-5.
  5. Jér. XVI, 20.