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LIVRE VIII. — THÉOLOGIE NATURELLE.

liance et la société des hommes et des dieux font le sujet de notre entretien, considérez, Esculape, quelle est la puissance et la force de l’homme. De même que le Seigneur et Père, Dieu en un mot, a produit les dieux du ciel ; ainsi l’homme a formé les dieux qui font leur séjour dans les temples et habitent auprès de lui ». Et un peu après : « L’homme donc, se souvenant de sa nature et de son origine, persévère dans cette imitation de la Divinité, de sorte qu’à l’exemple de ce Père et Seigneur qui a fait des dieux éternels comme lui, l’homme s’est formé des dieux à sa ressemblance ». Ici Esculape, à qui Hermès s’adresse, lui ayant dit : « Tu veux parler des statues, Trismégiste », celui-ci répond : « Oui, c’est des statues que je parle, Esculape, quelque doute qui puisse t’arrêter, de ces statues vivantes toutes pénétrées d’esprit et de sentiment, qui font tant et de si grandes choses, de ces statues qui connaissent l’avenir et le prédisent par les sortiléges, les devins, les songes et de plusieurs autres manières, qui envoient aux hommes des maladies et qui les guérissent, qui répandent enfin dans les cœurs, suivant le mérite de chacun, la joie ou la tristesse. Ignores-tu, Esculape, que l’Égypte est l’image du ciel, ou, pour mieux parler, que le ciel, avec ses mouvements et ses lois, y est comme descendu ; enfin, s’il faut tout dire, que notre pays est le temple de l’univers ? Et cependant, puisqu’il est d’un homme sage de tout prévoir, voici une chose que vous ne devez pas ignorer : un temps viendra où il sera reconnu que les Égyptiens ont vainement gardé dans leur cœur pieux un culte fidèle à la Divinité, et toutes leurs cérémonies saintes tomberont dans l’oubli et le néant ».

Hermès s’étend fort longuement sur ce sujet, et il semble prédire le temps où la religion chrétienne devait détruire les vaines superstitions de l’idolâtrie par la puissance de sa vérité et de sa sainteté librement victorieuses, alors que la grâce du vrai Sauveur viendrait arracher l’homme au joug des dieux qui sont l’ouvrage de l’homme, pour le soumettre au Dieu dont l’homme est l’ouvrage. Mais, quand il fait cette prédiction, Hermès, tout en parlant en ami déclaré des prestiges des démons, ne prononce pas nettement le nom du christianisme ; il déplore au contraire, avec l’accent de la plus vive douleur, la ruine future de ces pratiques religieuses qui, suivant lui, entretenaient en Égypte la ressemblance de l’homme avec les dieux. Car il était de ceux dont l’Apôtre dit : « Ils ont connu Dieu sans le glorifier et l’adorer comme Dieu ; mais ils se sont perdus dans leurs chimériques pensées, et leur cœur insensé s’est rempli de ténèbres. En se disant sages ils sont devenus fous, et ils ont prostitué la gloire de l’incorruptible divinité à l’image de l’homme corruptible[1] ».

On trouve en effet dans Hermès un grand nombre de pensées vraies sur le Dieu unique et véritable qui a créé l’univers ; et je ne sais par quel aveuglement de cœur il a pu vouloir que les hommes demeurassent toujours soumis à ces dieux qui sont, il en convient, leur propre ouvrage, et s’affliger de la ruine future de cette superstition. Comme s’il y avait pour l’homme une condition plus malheureuse que d’obéir en esclave à l’œuvre de ses mains ! Après tout, il lui est plus facile de cesser d’être homme en adorant les dieux qu’il a faits, qu’il ne l’est à ces idoles de devenir dieux par le culte qu’il leur rend ; que l’homme, en effet, déchu de l’état glorieux où il a été mis[2], descende au rang des brutes, c’est une chose plus facile que de voir l’ouvrage de l’homme devenir plus excellent que l’ouvrage de Dieu fait à son image, c’est-à-dire que l’homme même. Et il est juste par conséquent que l’homme tombe infiniment au-dessous de son Créateur, quand il met au-dessus de soi sa propre créature.

Voilà les illusions pernicieuses et les erreurs sacriléges dont Hermès l’Égyptien prévoyait et déplorait l’abolition ; mais sa plainte était aussi impudente que sa science était téméraire. Car le Saint-Esprit ne lui révélait pas l’avenir comme il faisait aux saints Prophètes qui, certains de la chute future des idoles, s’écriaient avec joie : « Si l’homme se fait des dieux, ce ne seront point des dieux véritables[3] ». Et ailleurs : « Le jour viendra, dit le Seigneur, où je chasserai les noms des idoles de la face de la terre, et la mémoire même en périra[4] ». Et Isaïe, prophétisant de l’Égypte en particulier : « Les idoles de l’Égypte seront renversées devant le Seigneur, et le cœur des Égyptiens se sentira

  1. Rom. I, 21-23.
  2. Ps. XLVIII, 12.
  3. Jér. XVI, 20.
  4. Zach. XIII, 2.