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LA CITÉ DE DIEU.


qu’ils ne viendront pas à se convertir. Et ceux-ci sont encore plus coupables dont parle ainsi le Prophète : « Cet homme mourra dans son péché ; mais je demanderai compte de sa vie à qui dut veiller sur lui[1] ». Car ceux qui veillent, c’est-à-dire ceux qui ont dans l’Église la conduite des peuples, sont établis pour faire au péché une guerre implacable. Et il ne faut pas croire cependant que celui-là soit exempt de toute faute, qui, n’ayant pas le caractère de pasteur, se montre indifférent pour la conduite des personnes que le commerce de la vie rapproche de lui, et néglige de les reprendre de peur d’encourir leur disgrâce et de compromettre des intérêts peut-être légitimes, mais dont il est charmé plus qu’il ne convient. Il y a là une faiblesse répréhensible et que Dieu punit justement par les maux temporels. Je signalerai une dernière explication de ces épreuves subies par les justes ; c’est Job qui me la fournit : il est bon que l’âme humaine s’estime à fond ce qu’elle vaut, et qu’elle sache bien si elle a pour Dieu un amour désintéressé[2].

CHAPITRE X.
LES SAINTS NE PERDENT RIEN EN PERDANT LES CHOSES TEMPORELLES.

Pesez bien toutes ces raisons, et dites-moi s’il peut arriver aucun mal aux hommes de foi et de piété qui ne se tourne en bien pour eux. Serait-elle vaine, par hasard, cette parole de l’Apôtre : « Nous savons que tout concourt au bien de ceux qui aiment Dieu[3] ? » — Mais ils ont perdu tout ce qu’ils avaient. Ont-ils perdu la foi, la piété ? Ont-ils perdu les biens de l’homme intérieur, riche devant Dieu[4] ? Voilà l’opulence des chrétiens, comme parle le très-opulent apôtre : « C’est une grande richesse que la piété et la modération d’un esprit qui se contente de ce qui suffit. Car nous n’avons rien apporté en ce monde, et il est sans aucun doute que nous ne pouvons aussi en rien emporter. Ayant donc de quoi nous nourrir et de quoi nous couvrir, nous devons être contents. Mais ceux qui veulent devenir riches tombent dans la tentation et dans le piège du diable, et en divers désirs inutiles et pernicieux qui précipitent les hommes dans l’abîme de la perdition et de la damnation. Car l’amour des richesses est la racine de tous les maux, et quelques-uns, pour en avoir été possédés, se sont détournés de la foi et embarrassés en une infinité d’afflictions et de peines[5] ».

Ceux donc qui, dans le sac de Rome, ont perdu les richesses de la terre, s’ils les possédaient de la façon que recommande l’Apôtre, pauvres au dehors, riches au dedans, c’est-à-dire s’ils en usaient comme n’en usant pas[6], ils ont pu dire avec un homme fortement éprouvé, mais nullement vaincu : « Je suis sorti nu du ventre de ma mère, et je retournerai nu dans la terre. Le Seigneur m’avait tout donné, le Seigneur m’a tout ôté. Il n’est arrivé que ce qui lui a plu ; que le nom du Seigneur soit béni[7] ! » Job pensait donc que la volonté du Seigneur était sa richesse, la richesse de son âme, et il ne s’affligeait point de perdre pendant la vie ce qu’il faut nécessairement perdre à la mort. Quant aux âmes plus faibles, qui, sans préférer ces biens terrestres au Christ, avaient pour eux quelque attachement profane, elles ont senti dans la douleur de les perdre le péché de les avoir aimés. Suivant la parole de l’Apôtre, que je rappelais tout à l’heure, elles ont d’autant plus souffert qu’elles avaient donné plus de prise à la douleur en s’embarrassant dans ses voies. Après avoir si longtemps fermé l’oreille aux leçons de la parole divine, il était bon qu’elles fussent rendues attentives à celles de l’expérience ; car lorsque l’Apôtre a dit : « Ceux qui veulent devenir riches tombent dans la tentation, etc. », ce qu’il blâme dans les richesses, ce n’est pas de les posséder, mais de les convoiter ; aussi donne-t-il ailleurs des règles pour leur usage : « Recommandez », dit-il à Timothée, « aux riches de ce monde de n’être point orgueilleux, de ne mettre point leur confiance dans les richesses incertaines et périssables, mais dans le Dieu vivant qui nous fournit avec abondance tout ce qui est nécessaire à la vie ; et ordonnez-leur d’être charitables et bienfaisants, de se rendre riches en bonnes œuvres, de donner l’aumône de bon cœur, de faire part de leurs biens, de se faire un trésor et un fondement solide pour l’avenir, afin d’ar-

  1. Ezech. XXXIII, 6.
  2. Comparez avec ce chapitre de saint Augustin l’homélie de saint Chrysostome au peuple d’Antioche, où il explique, par huit raisons tirées de l’Ecriture, les afflictions des justes ici-bas (Hom. II, p. 10 et seq. de la nouvelle édition).
  3. Rom. VIII, 28.
  4. I Petr. III, 4.
  5. I Tim. VI, 6-10.
  6. I Cor. VII, 31.
  7. Job. I, 21.