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LIVRE VIII. — THÉOLOGIE NATURELLE.

CHAPITRE X.

LA FOI D’UN BON CHRÉTIEN EST FORT AU-DESSUS DE TOUTE LA SCIENCE DES PHILOSOPHES.

Un chrétien qui s’est uniquement appliqué à la lecture des saints livres, ignore peut-être le nom des Platoniciens ; il ne sait pas qu’il y a eu parmi les Grecs deux écoles de philosophie, l’Ionienne et l’Italique ; mais il n’est pas tellement sourd au bruit des choses humaines, qu’il n’ait appris que les philosophes font profession d’aimer la sagesse ou même de la posséder. Il se défie pourtant de cette philosophie qui s’enchaîne aux éléments du monde au lieu de s’appuyer sur Dieu, Créateur du monde, averti par ce précepte de l’Apôtre qu’il écoute d’une oreille fidèle : « Prenez garde de vous laisser abuser par la philosophie et par de vains raisonnements sur les éléments du monde[1] ». Mais, afin de ne pas appliquer ces paroles à tous les philosophes, le chrétien écoute ce que l’Apôtre dit de quelques-uns : « Ce qui peut être connu de Dieu, ils l’ont connu clairement, Dieu-même le leur ayant fait connaître ; car depuis la création du monde les profondeurs invisibles de son essence sont devenues saisissables et visibles par ses ouvrages ; et sa vertu et sa divinité sont éternelles[2] ». Et de même, quand l’Apôtre parle aux Athéniens, après avoir dit de Dieu cette grande parole qu’il est donné à peu de comprendre : « C’est en lui que nous avons la vie, le mouvement et l’être » ; il poursuit et ajoute : « Comme l’ont même dit quelques-uns de vos sages[3] ».

Ici encore le chrétien sait se garder des erreurs où ces grands philosophes sont tombés ; car, au même endroit où il est écrit que Dieu leur a rendu saisissables et visibles par ses ouvrages ses invisibles profondeurs, il est dit aussi qu’ils n’ont pas rendu à Dieu le culte légitime, parce qu’ils ont transporté à d’autres objets les honneurs qui ne sont dus qu’à lui : « Ils ont connu Dieu, dit l’Apôtre, et ils ne l’ont pas glorifié et adoré comme Dieu ; mais ils se sont perdus dans leurs chimériques pensées, et leur cœur insensé s’est rempli de ténèbres. En se disant sages ils sont devenus fous, et ils ont prostitué la gloire du Dieu incorruptible à l’image de l’homme corruptible, à des figures d’oiseaux, de quadrupèdes et de serpents[4] ». L’Apôtre veut désigner ici les Romains, les Grecs et les Égyptiens, qui se sont fait gloire de leur sagesse ; mais nous aurons affaire à eux dans la suite de cet ouvrage. Bornons-nous à dire encore une fois que notre préférence est acquise à ces philosophes qui confessent avec nous un Dieu unique, Créateur de l’univers, non-seulement incorporel et à ce titre au-dessus de tous les corps, mais incorruptible et comme tel au-dessus de toutes les âmes ; en un mot, notre principe, notre lumière et notre bien.

Que si un chrétien, étranger aux lettres profanes, ne se sert pas en discutant de termes qu’il n’a point appris, et n’appelle pas naturelle avec les Latins et physique avec les Grecs cette partie de la philosophie qui regarde la nature, rationnelle ou logique celle qui traite de la connaissance de la vérité, morale enfin ou éthique celle où il est question des mœurs, des biens à poursuivre et des maux à éviter, est-ce à dire qu’il ignore que nous tenons du vrai Dieu, unique et parfait, la nature qui nous fait être à son image, la science qui le révèle à nous et nous révèle à nous-mêmes, la grâce enfin qui nous unit à lui pour nous rendre heureux ? Voilà donc pourquoi nous préférons les Platoniciens au reste des philosophes : c’est que ceux-ci ont vainement consumé leur esprit et leurs efforts pour découvrir les causes des êtres, la règle de la vérité et celle de la vie, au lieu que les Platoniciens, ayant connu Dieu, ont trouvé par là même où est la cause de tous les êtres, la lumière où l’on voit la vérité, la source où l’on s’abreuve du bonheur. Platoniciens ou philosophes d’une autre nation, s’il en est qui aient eu aussi de Dieu une telle idée, je dis qu’ils pensent comme nous. Pourquoi maintenant, dans la discussion qui va s’ouvrir, n’ai-je voulu avoir affaire qu’aux disciples de Platon ? c’est que leurs écrits sont plus connus. En effet, les Grecs, dont la langue est la première parmi les gentils, ont partout répandu la doctrine platonicienne, et les Latins, frappés de son excellence ou séduits par la renommée, l’ont étudiée de préférence à toute autre, et en la traduisant dans notre langue ont encore ajouté à son éclat et à sa popularité.

  1. Coloss. ii, 8.
  2. Rom. i, 19, 20.
  3. Act. XVII, 28.
  4. Rom i, 21-23.