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LIVRE VIII. — THÉOLOGIE NATURELLE.

chacun de ces trois objets, c’est-à-dire où il a mis la fin de toutes les actions, la cause de tous les êtres et la lumière de toutes les intelligences, ce serait une question longue à discuter et qu’il ne serait pas convenable de trancher légèrement. Comme il affecte constamment de suivre la méthode de Socrate, interlocuteur ordinaire de ses dialogues, lequel avait coutume, comme on sait, de cacher sa science ou ses opinions, il n’est pas aisé de découvrir ce que Platon lui-même pensait sur un grand nombre de points. Il nous faudra pourtant citer quelques passages de ses écrits, où, exposant tour à tour sa propre pensée et celle des autres, tantôt il se montre favorable à la religion véritable, à celle qui a notre foi et dont nous avons pris la défense, et tantôt il y paraît contraire, comme quand il s’agit, par exemple, de l’unité divine et de la pluralité des dieux, par rapport à la vie véritablement heureuse qui doit commencer après la mort. Au surplus, ceux qui passent pour avoir le plus fidèlement suivi ce philosophe, si supérieur à tous les autres parmi les gentils, et qui sont le mieux entrés dans le fond de sa pensée véritable, paraissent avoir de Dieu une si juste idée, que c’est en lui qu’ils placent la cause de toute existence, la raison de toute pensée et la fin de toute vie : trois principes dont le premier appartient à la physique, le second à la logique, et le troisième à la morale ; et véritablement, si l’homme a été créé pour atteindre, à l’aide de ce qu’il y a de plus excellent en lui, ce qui surpasse tout en excellence, c’est-à-dire un seul vrai Dieu souverainement bon, sans lequel aucune nature n’a d’existence, aucune science de certitude, aucune action d’utilité, où faut-il donc avant tout le chercher, sinon où tous les êtres ont un fondement assuré, où toutes les vérités deviennent certaines, et où se rectifient toutes nos affections ?

CHAPITRE V.
IL FAUT DISCUTER DE PRÉFÉRENCE AVEC LES PLATONICIENS EN MATIÈRE DE THÉOLOGIE, LEURS OPINIONS ÉTANT MEILLEURES QUE CELLES DE TOUS LES AUTRES PHILOSOPHES.

Si Platon a défini le sage celui qui imite le vrai Dieu, le connaît, l’aime et trouve la béatitude dans sa participation avec lui, à quoi bon discuter contre les philosophes ? il est clair qu’il n’en est aucun qui soit plus près de nous que Platon. Qu’elle cède donc aux platoniciens cette théologie fabuleuse qui repaît les âmes des impies des crimes de leurs dieux ! qu’elle leur cède aussi cette théologie civile où les démons impurs, se donnant pour des dieux afin de mieux séduire les peuples asservis aux voluptés de la terre, ont voulu consacrer l’erreur, faire de la représentation de leurs crimes une cérémonie du culte, et trouver ainsi pour eux-mêmes, dans les spectateurs de ces jeux, le plus agréable des spectacles : théologie impure où ce que les temples peuvent avoir d’honnête est corrompu par son mélange avec les infamies du théâtre, et où ce que le théâtre a d’infâme est justifié par les abominations des temples ! Qu’elles cèdent encore à ces philosophes les explications de Varron qui a voulu rattacher le paganisme à la terre et au ciel, aux semences et aux opérations de la nature ; car, d’abord, les mystères du culte païen n’ont pas le sens qu’il veut leur donner, et par conséquent la vérité lui échappe en dépit de tous ses efforts ; de plus, alors même qu’il aurait raison, l’âme raisonnable ne devrait pas adorer comme son Dieu ce qui est au-dessous d’elle dans l’ordre de la nature, ni préférer à soi, comme des divinités, des êtres auxquels le vrai Dieu l’a préférée. Il faut en dire autant de ces écrits que Numa consacra en effet aux mystères sacrés[1], mais qu’il prit soin d’ensevelir avec lui, et qui, exhumés par la charrue d’un laboureur, furent livrés aux flammes par le sénat ; et pour traiter plus favorablement Numa, mettons au même rang cette lettre[2] où Alexandre de Macédoine, confiant à sa mère les secrets que lui avaient dévoilés un certain Léon, grand-prêtre égyptien, lui faisait voir non-seulement que Picus, Faunus, Énée, Romulus, ou encore Hercule, Esculape, Liber, fils de Sémélé, les Tyndarides et autres mortels divinisés, mais encore les grands dieux, ceux dont Cicéron a l’air de parler dans les Tusculanes[3] sans les nommer, Jupiter, Junon, Saturne, Vulcain, Vesta et plusieurs autres dont Varron a fait les symboles des éléments et des parties du monde, ont été des hommes, et rien de plus ; or, ce prêtre égyptien craignant, lui aussi,

  1. Voyez le livre précédent au ch. 33.
  2. Sur cette lettre évidemment apocryphe d’Alexandre le Grand, voyez Sainte-Croix, Examen critique des historiens d’Alexandre, 2e édition, p. 292.
  3. Livre i, ch. 13.