Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XIII.djvu/167

Cette page a été validée par deux contributeurs.
157
LIVRE VIII. — THÉOLOGIE NATURELLE.

la secte ionique. On le compte parmi les sept sages, tandis que les six autres ne se distinguèrent que par leur manière de vivre et par quelques préceptes de morale. Thalès s’illustra par l’étude de la nature des choses, et, afin de propager ses recherches, il les écrivit. Ce qui le fit surtout admirer, c’est qu’ayant saisi les lois de l’astronomie, il put prédire les éclipses du soleil et aussi celles de la lune. Il crut néanmoins que l’eau était le principe de toutes choses, des éléments du monde, du monde lui-même et de tout ce qui s’y produit, sans qu’aucune intelligence divine préside à ce grand ouvrage, qui paraît si admirable à quiconque observe l’univers[1]. Après Thalès vint Anaximandre[2], son disciple, qui se forma une autre idée de la nature des choses. Au lieu de faire venir toutes choses d’un seul principe, tel que l’humide de Thalès, il pensa que chaque chose naît de principes propres. Et ces principes, il en admet une quantité infinie, d’où résultent des mondes innombrables et tout ce qui se produit en chacun d’eux ; ces mondes se dissolvent et renaissent pour se maintenir pendant une certaine durée, et il n’est pas non plus nécessaire qu’aucune intelligence divine prenne part à ce travail des choses. Anaximandre eut pour disciple et successeur Anaximène, qui ramena toutes les causes des êtres à un seul principe, l’air. Il ne contestait ni ne dissimulait l’existence des dieux ; mais, loin de croire qu’ils ont créé l’air, c’est de l’air qu’il les faisait naître. Telle ne fut point la doctrine d’Anaxagore, disciple d’Anaximène ; il comprit que le principe de tous ces objets qui frappent nos yeux est dans un esprit divin. Il pensa qu’il existe une matière infinie, composée de particules homogènes, et que de là sortent tous les genres d’êtres, avec la diversité de leurs modes et de leurs espèces, mais tout cela par l’action de l’esprit divin[3]. Un autre disciple d’Anaximène, Diogène, admit aussi que l’air est la matière où se forment toutes choses, l’air lui-même étant animé par une raison divine, sans laquelle rien n’en pourrait sortir. Anaxagore eut pour successeur son disciple Archélaüs, lequel soutint, à son exemple, que les éléments constitutifs de l’univers sont des particules homogènes d’où proviennent tous les êtres particuliers par l’action d’une intelligence partout présente, qui, unissant et séparant les corps éternels, je veux dire ces particules, est le principe de tous les phénomènes naturels. On assure qu’Archélaüs eut pour disciple Socrate[4], qui fut le maître de Platon, et c’est pourquoi je suis rapidement remonté jusqu’à ces antiques origines.

CHAPITRE III.
DE LA PHILOSOPHIE DE SOCRATE.

Socrate est le premier qui ait ramené toute la philosophie à la réforme et à la discipline des mœurs[5] ; car avant lui les philosophes s’appliquaient par-dessus tout à la physique, c’est-à-dire à l’étude des phénomènes de la nature. Est-ce le dégoût de ces recherches obscures et incertaines qui le conduisit à tourner son esprit vers une étude plus accessible, plus assurée, et qui est même nécessaire au bonheur de la vie, ce grand objet de tous les efforts et de toutes les veilles des philosophes ? Ou bien, comme le supposent des interprètes encore plus favorables, Socrate voulait-il arracher les âmes aux passions impures de la terre, en les excitant à s’élever aux choses divines ? c’est une question qu’il me semble impossible d’éclaircir complètement. Il voyait les philosophes tout occupés de découvrir les causes premières, et, persuadé qu’elles dépendent de la volonté d’un Dieu supérieur et unique, il pensa que les âmes purifiées peuvent seules les saisir ; c’est pourquoi il voulait que le premier soin du philosophe fût de purifier son âme par de bonnes mœurs, afin que l’esprit, affranchi des passions qui le courbent vers la terre, s’élevât par sa vigueur native vers les choses éternelles, et pût contempler avec la pure intelligence cette lumière spirituelle et immuable où les causes de toutes les natures créées ont

  1. Cette exposition du système de Thalès est parfaitement conforme à celle d’Aristote en sa Métaphysique, livre i, ch. 3.
  2. Ici saint Augustin expose autrement qu’Aristote la suite et l’enchaînement des systèmes de l’école ionique. Au premier livre de la Métaphysique, Aristote réunit étroitement Thalès, Anaximène et Diogène, comme ayant enseigné des systèmes analogues ; mais il ne parle pas d’Anaximandre. Réparant cet oubli au livre xii, ch. 2, il rapproche ce philosophe, non de Thalès et d’Anaximène, mais d’Anaxagore et de Démocrite, dont les théories physiques présentent en effet une ressemblance notable avec celles d’Anaximandre. Comp. Aristote, Phys. Ausc.iii, 4. Voyez aussi Ritter, Hist. de la philosophie ancienne, tome i, livre iii, chap. 7.
  3. Voyez, sur Anaxagore, les grands passages de Platon (Phédon, trad. franç., tome i, p. 273 et suiv.) et d’Aristote (Métaph., livre i, ch. 3.)
  4. Comp. Diogène Laërce, i, 14 ; ii, 19 et 23.
  5. Comp. Xénophon (Memor.i, 3 et 4) et Aristote (Métaph., liv. i, ch. 5, et livre xiii, ch. 4.)