fictions du théâtre ou certains mystères du temple : or, bien qu’il ait moins réussi à justifier le théâtre par le temple qu’à condamner le temple par le théâtre, il n’a toutefois rien négligé pour affaiblir par de prétendues explications physiques la répugnance qu’inspirent tant de choses abominables.
CHAPITRE XXXIV.
Et cependant, au témoignage de Varron lui-même, on ne put souffrir les livres de Numa, où sont expliqués les principes de ses institutions religieuses, et on les jugea indignes non-seulement d’être lus par les personnes de piété, mais encore d’être conservés par écrit dans le secret des ténèbres. C’est ici le moment de rapporter ce que j’ai promis au troisième livre de placer en son lieu. Voici donc ce qu’on lit dans le traité de Varron sur le culte des dieux : « Un certain Térentius », dit ce savant homme, « possédait une terre au pied du Janicule. Or, il arriva un jour que son bouvier, faisant passer la charrue près du tombeau de Numa Pompilius, déterra les livres où ce roi avait consigné les raisons de ses institutions religieuses. Térentius s’empressa de les porter au préteur, qui, en ayant lu le commencement, jugea la chose assez importante pour en donner avis au sénat. Les principaux de cette assemblée eurent à peine pris connaissance de quelques-unes des raisons par où chaque institution était expliquée, qu’il fut décidé que, sans toucher aux règlements de Numa, il était de l’intérêt de la religion que ses livres fussent brûlés par le préteur[1] ». Chacun en pensera ce qu’il voudra, et il sera même permis à quelque habile défenseur d’une si étrange impiété de dire ici tout ce que l’amour insensé de la dispute lui pourra suggérer ; pour nous, qu’il nous suffise de faire observer que les explications données sur le culte par son propre fondateur, devaient rester inconnues au peuple, au sénat, aux prêtres eux-mêmes, ce qui fait bien voir qu’une curiosité illicite avait initié Numa Pompilius aux secrets des démons ; il les mit donc par écrit pour son usage et afin de s’en souvenir ; mais il n’osa jamais, tout roi qu’il était et n’ayant personne à craindre, ni les communiquer à qui que ce soit, de peur de découvrir aux hommes des mystères d’abominations, ni les effacer ou les détruire, de peur d’irriter ses dieux, et c’est ce qui le porta à les enfouir dans un lieu qu’il crut sûr, ne prévoyant pas que la charrue dût jamais approcher de son tombeau. Quant au sénat, bien qu’il eût pour maxime de respecter la religion des ancêtres, et qu’il fût obligé par là de ne pas toucher aux institutions de Numa, il jugea toutefois ces livres si pernicieux qu’il ne voulut point qu’on les remît en terre, de peur d’irriter la curiosité, et ordonna de livrer aux flammes ce scandaleux monument. Estimant nécessaire le maintien des institutions établies, il pensa qu’il valait mieux laisser les hommes dans l’erreur en leur en dérobant les causes, que de troubler l’État en les leur découvrant.
CHAPITRE XXXV.
Comme aucun prophète de Dieu, ni aucun ange ne fut envoyé à Numa, il eut recours à l’hydromancie pour voir dans l’eau les images des dieux ou plutôt les prestiges des démons, et apprendre d’eux les institutions qu’il devait fonder. Varron dit que ce genre de divination a son origine chez les Perses, et que le roi Numa, et après lui le philosophe Pythagore, en ont fait usage. Il ajoute qu’on interroge aussi les enfers en répandant du sang, ce que les Grecs appellent nécromancie[3] ; mais hydromancie et nécromancie ont ce point commun qu’on se sert des morts pour connaître l’avenir. Comment y réussit-on ? cela regarde les experts en ces matières ; pour moi, je ne veux pas soutenir que ces sortes de divinations fussent interdites par les lois chez tous les peuples et sous des peines rigoureuses, même avant l’avènement du Christ ; je ne dis pas cela, car peut-être étaient-elles permises ; je dis seulement que c’est par des pratiques de ce genre que Numa connut les mystères qu’il institua et dont il dissimula les causes.