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LA CITÉ DE DIEU

incertains au commencement du second livre : « Si j’émets dans ce livre des opinions douteuses touchant les dieux, on ne doit point le trouver mauvais. Libre à tout autre, s’il croit la chose possible et nécessaire, de trancher ces questions avec assurance ; pour moi, on m’amènerait plus aisément à révoquer en doute ce que j’ai dit dans le premier livre, qu’à donner pour certain tout ce que je dirai dans celui-ci ». C’est ainsi que Varron a rendu également incertain, et ce qu’il avance des dieux incertains, et ce qu’il affirme des dieux certains. Bien plus, dans le troisième livre, qui traite des dieux choisis, passant de quelques vues préliminaires sur la théologie naturelle aux folies et aux mensonges de la théologie civile, où, loin d’être conduit par la vérité des choses, il est pressé par l’autorité de la coutume : « Je vais parler, dit-il, des dieux publics du peuple romain, de ces dieux à qui on a élevé des temples et des statues ; mais, pour me servir des expressions de Xénophane de Colophon[1], je dirai plutôt ce que je pense que ce que j’affirme ; car l’homme a sur de tels objets des opinions, Dieu a la science ». Ce n’est donc qu’en tremblant qu’il promet de parler de ces choses, qui ne sont point à ses yeux l’objet d’une claire compréhension et d’une ferme croyance, mais d’une opinion incertaine, étant l’ouvrage de la main des hommes. Il savait bien, dans le fait, qu’il y a au monde un ciel et une terre ; que le ciel est orné d’astres étincelants, que la terre est riche en semences, et ainsi du reste ; il croyait également que toute nature est conduite et gouvernée par une force invisible et supérieure qui est l’âme de ce grand corps ; mais que Janus soit le monde, que Saturne, père de Jupiter, devienne son sujet, et autres choses semblables, c’est ce que Varron ne pouvait pas aussi positivement affirmer.

CHAPITRE XVIII.
QUELLE EST LA CAUSE LA PLUS VRAISEMBLABLE DE LA PROPAGATION DES ERREURS DU PAGANISME.

Ce qu’on peut dire de plus vraisemblable sur ce sujet, c’est que les dieux du paganisme ont été des hommes à qui leurs flatteurs ont offert des fêtes et des sacrifices selon leurs mœurs, leurs actions et les accidents de leur vie, et que ce culte sacrilége s’est glissé peu à peu dans l’âme des hommes, semblable à celle des démons et amoureuse de frivolités, pour être bientôt propagé par les ingénieux mensonges des poëtes et par les séductions des malins esprits. En effet, qu’un fils impie, poussé par l’ambition ou par la crainte d’un père impie, ait chassé son père de son royaume, cela est plus aisé à croire que de s’imaginer Saturne vaincu par son fils Jupiter, sous prétexte que la cause des êtres est antérieure à leur semence ; car si cette explication était bonne, jamais Saturne n’eût existé avant Jupiter, puisque la cause précède toujours la semence et n’en est jamais engendrée. Mais quoi ! dès que nos adversaires s’efforcent de relever de vaines fables et des actions purement humaines par des explications tirées de la nature, les plus habiles se trouvent réduits à de telles extrémités, que nous sommes forcés de les plaindre.

CHAPITRE XIX.
DES EXPLICATIONS QU’ON DONNE DU CULTE DE SATURNE.

« Quand on raconte (c’est Varron qui parle) que Saturne avait coutume de dévorer ses enfants, cela veut dire que les semences rentrent au même lieu où elles ont pris naissance. Quant à la motte de terre substituée à Jupiter, elle signifie qu’avant l’invention du labourage, les hommes recouvraient les blés de terre avec leurs mains ». À ce compte, il fallait dire que Saturne était la terre, et non pas la semence, puisqu’en effet la terre dévore en quelque sorte ce qu’elle a engendré, quand les semences sorties de son sein y rentrent de nouveau. Et cette motte de terre, que Saturne prit pour Jupiter, quel rapport a-t-elle avec l’usage de jeter de la terre sur les grains de blé ? Est-ce que la semence, ainsi recouverte de terre, en était moins dévorée pour cela ? Il semblerait, à entendre cette explication, que celui qui jetait de la terre emportait le grain, comme on emporta, dit-on, Jupiter, tandis qu’au contraire, en jetant de la terre sur le grain, cela ne servait qu’à le faire dévorer plus vite. D’ailleurs, de cette façon, Jupiter est la semence, et non, comme Varron le disait tout à l’heure, la

  1. Philosophe grec du sixième siècle avant l’ère chrétienne, fondateur de l’école d’Élée. Voyez Aristote, Métaphys., livre i, ch. 4, et Cicéron, Acad., livre ii, ch. 3.