Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XIII.djvu/143

Cette page a été validée par deux contributeurs.
LIVRE SEPTIÈME.
Argument. — Saint Augustin s’attache à l’examen des dieux choisis de la théologie civile, Janus, Jupiter, Saturne et les autres ; il démontre que le culte rendu à ces dieux n’est d’aucun usage pour acquérir la félicité éternelle.
PRÉFACE.

Si je m’efforce de délivrer les âmes des fausses doctrines qu’une longue et funeste erreur y a profondément enracinées, coopérant ainsi de tout mon pouvoir, avec le secours d’en haut, à la grâce de celui qui peut tout faire, parce qu’il est le vrai Dieu, j’espère que ceux de mes lecteurs, dont l’esprit plus prompt et plus perçant a jugé les six précédents livres suffisants pour cet objet, voudront bien écouter avec patience ce qui me reste à dire encore, et, en considération des personnes moins éclairées, ne pas regarder comme superflu ce qui pour eux n’est pas nécessaire. Il ne s’agit point ici d’une question de médiocre importance : il faut persuader aux hommes que ce n’est point pour les biens de cette vie mortelle, fragile et légère comme une vapeur, que le vrai Dieu veut être servi, bien qu’il ne laisse pas de nous donner tout ce qui est ici-bas nécessaire à notre faiblesse, mais pour la vie bienheureuse de l’éternité.

CHAPITRE PREMIER.
SI LE CARACTÈRE DE LA DIVINITÉ, LEQUEL N’EST POINT DANS LA THÉOLOGIE CIVILE, SE RENCONTRE DANS LES DIEUX CHOISIS.

Que le caractère de la divinité ou (pour mieux rendre le mot grec θεότης) de la déité ne se trouve pas dans la théologie civile exposée en seize livres par Varron, en d’autres termes, que les institutions religieuses du paganisme ne servent de rien pour conduire à la vérité éternelle, c’est ce dont quelques-uns n’auront peut-être pas été entièrement convaincus par ce qui précède ; mais j’ai lieu de croire qu’après avoir lu ce qui va suivre ils n’auront plus aucun éclaircissement à désirer. Les personnes que j’ai en vue ont pu, en effet, s’imaginer qu’on doit au moins servir pour la vie bienheureuse, c’est-à-dire pour la vie éternelle, ces dieux choisis que Varron a réservés pour son dernier livre et dont j’ai encore très-peu parlé. Or, je me garderai de leur opposer ce mot plus mordant que vrai de Tertullien : « Si on choisit les dieux comme on fait les oignons, tout ce qu’on ne prend pas est de rebut[1] ». Non, je ne dirai pas cela, car il peut arriver que même dans une élite on fasse encore un choix pour quelque fin plus excellente et plus relevée, comme à la guerre on s’adresse pour un coup de main aux jeunes soldats et parmi eux aux plus braves. De même, dans l’Église, quand on fait choix de certains hommes pour être pasteurs, ce n’est pas à dire que le reste des fidèles soit réprouvé, puisqu’il n’en est pas un qui n’ait droit au nom d’élu. C’est ainsi encore qu’en construisant un édifice on choisit les grosses pierres pour les angles, sans pour cela rejeter les autres, qui trouvent également leur emploi ; et enfin, quand on réserve certaines grappes de raisin pour les manger, on n’en garde pas moins les autres pour en faire du vin. Il est inutile de pousser plus loin les exemples. Je dis donc qu’il ne s’ensuit pas, de ce que dans la multitude des dieux païens on en a distingué quelques-uns, qu’il y ait à blâmer ni l’auteur qui rapporte ce choix, ni ceux qui l’ont fait, ni les divinités préférées : il s’agit seulement d’examiner quelles sont ces divinités et pourquoi elles ont été l’objet d’une préférence.

CHAPITRE II.
QUELS SONT LES DIEUX CHOISIS ET SI ON LES REGARDE COMME AFFRANCHIS DES FONCTIONS DES PETITES DIVINITÉS.

Voici les dieux choisis que Varron a compris en un seul livre : Janus, Jupiter, Saturne, Génius, Mercure, Apollon, Mars, Vulcain, Neptune, le Soleil, Orcus, Liber, la Terre, Cérès, Junon, la Lune, Diane, Minerve, Vénus et Vesta ; vingt en tout, douze mâles et huit femelles. Je demande pourquoi ces divinités sont appelées choisies : est-ce parce qu’elles

  1. Tertullien, Contra Nation., lib. ii, cap. 9.