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LA CITÉ DE DIEU.

sance infinie. On a donc raison de l’appeler le Tout-Puissant, quoiqu’il ne puisse ni mourir, ni être trompé ; car sa toute-puissance consiste à faire ce qu’il veut et à ne pas souffrir ce qu’il ne veut pas ; double condition sans laquelle il ne serait plus le Tout-Puissant. D’où l’on voit enfin que ce qui fait que Dieu ne peut pas certaines choses, c’est sa toute-puissance même. Pareillement donc, dire qu’il est nécessaire que lorsque nous voulons, nous voulions par notre libre arbitre, c’est dire une chose incontestable ; mais il ne s’ensuit pas que notre libre arbitre soit soumis à une nécessité qui lui ôte sa liberté. Nos volontés restent nôtres, et c’est bien elles qui font ce que nous voulons faire, ou, en d’autres termes, ce qui ne se ferait pas si nous ne le voulions faire. Et quand j’ai quelque chose à souffrir du fait de mes semblables et contre ma volonté propre, il y a encore ici une manifestation de la volonté, non sans doute de ma volonté propre, mais de celle d’autrui, et avant tout de la volonté et de la puissance de Dieu. Car, dans le cas même où la volonté de mes semblables serait une volonté sans puissance, cela viendrait évidemment de ce qu’elle serait empêchée par une volonté supérieure ; elle supposerait donc une autre volonté, tout en restant elle-même une volonté distincte, impuissante à faire ce qu’elle veut. C’est pourquoi, tout ce que l’homme souffre contre sa volonté, il ne doit l’attribuer, ni à la volonté des hommes, ni à celle des anges ou de quelque autre esprit créé, mais à la volonté de Dieu, qui donne le pouvoir aux volontés.

On aurait donc tort de conclure que rien ne dépend de notre volonté, sous prétexte que Dieu a prévu ce qui devait en dépendre. Car ce serait dire que Dieu a prévu là où il n’y avait rien à prévoir. Si en effet celui qui a prévu ce qui devait dépendre un jour de notre volonté, a véritablement prévu quelque chose, il faut conclure que ce quelque chose, objet de sa prescience, dépend en effet de notre volonté. C’est pourquoi nous ne sommes nullement réduits à cette alternative, ou de nier le libre arbitre pour sauver la prescience de Dieu, ou de nier la prescience de Dieu, pensée sacrilège ! pour sauver le libre arbitre ; mais nous embrassons ces deux principes, et nous les confessons l’un et l’autre avec la même foi et la même sincérité : la prescience, pour bien croire ; le libre arbitre, pour bien vivre. Impossible d’ailleurs de bien vivre, si on ne croit pas de Dieu ce qu’il est bien d’en croire. Gardons-nous donc soigneusement, sous prétexte de vouloir être libres, de nier la prescience de Dieu, puisque c’est Dieu seul dont la grâce nous donne ou nous donnera la liberté. Ainsi, ce n’est pas en vain qu’il y a des lois, ni qu’on a recours aux réprimandes, aux exhortations, à la louange et au blâme ; car Dieu a prévu toutes ces choses, et elles ont tout l’effet qu’il a prévu qu’elles auraient ; et de même les prières servent pour obtenir de lui les biens qu’il a prévu qu’il accorderait à ceux qui prient ; et enfin il y a de la justice à récompenser les bons et à châtier les méchants. Un homme ne pèche pas parce que Dieu a prévu qu’il pécherait ; tout au contraire, il est hors de doute que quand il pèche, c’est lui-même qui pèche, celui dont la prescience est infaillible ayant prévu que son péché, loin d’être l’effet du destin ou de la fortune, n’aurait d’autre cause que sa propre volonté. Et sans doute, s’il ne veut pas pécher, il ne pèche pas ; mais alors Dieu a prévu qu’il ne voudrait pas pécher.

CHAPITRE XI.
LA PROVIDENCE DE DIEU EST UNIVERSELLE ET EMBRASSE TOUT SOUS SES LOIS.

Considérez maintenant ce Dieu souverain et véritable qui, avec son Verbe et son Esprit saint, ne forme qu’un seul Dieu en trois personnes, ce Dieu unique et tout-puissant, auteur et créateur de toutes les âmes et de tous les corps, source de la félicité pour quiconque met son bonheur, non dans les choses vaines, mais dans les vrais biens, qui a fait de l’homme un animal raisonnable, composé de corps et d’âme, et après son péché, ne l’a laissé ni sans châtiment, ni sans miséricorde ; qui a donné aux bons et aux méchants l’être comme aux pierres, la vie végétative comme aux plantes, la vie sensitive comme aux animaux, la vie intellectuelle comme aux anges ; ce Dieu, principe de toute règle, de toute beauté, de tout ordre ; qui donne à tout le nombre, le poids et la mesure ; de qui dérive toute production naturelle, quels qu’en soient le genre et le prix : les semences des formes, les formes des semences, le mouvement des semences et des formes ; ce Dieu qui a créé la chair avec sa beauté, sa vigueur, sa fécondité, la disposition de ses organes et la concorde