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ŒUVRES
DE SAINT AUGUSTIN.
LA CITÉ DE DIEU.

LIVRE PREMIER.
Argument. — Saint Augustin combat cette erreur des païens qui attribuaient les malheurs du monde et surtout la prise récente de Rome par les Goths à la religion chrétienne et à l’interdiction du culte des dieux. Il fait voir que les biens et les maux de la vie ont été de tout temps communs aux bons et aux méchants. Enfin il châtie l’impudence de ceux qui ne rougissaient pas de triompher contre le christianisme du viol que des femmes chrétiennes avaient eu à subir.

En écrivant cet ouvrage dont vous m’avez suggéré la première pensée, Marcellinus[1], mon très-cher fils, et que je vous ai promis d’exécuter, je viens défendre la Cité de Dieu contre ceux qui préfèrent à son fondateur leurs fausses divinités ; je viens montrer cette cité toujours glorieuse, soit qu’on la considère dans son pèlerinage à travers le temps, vivant de foi au milieu des incrédules[2], soit qu’on la contemple dans la stabilité du séjour éternel, qu’elle attend présentement avec patience[3], jusqu’à ce que la patience se change en force[4] au jour de la victoire suprême et de la parfaite paix[5]. Cette entreprise est, à la vérité, grande et difficile, mais Dieu est notre appui[6]. Aussi bien de quelle force n’aurai-je pas besoin pour persuader aux superbes que l’humilité possède une vertu supérieure qui nous élève, non par une insolence toute humaine, mais par une grâce divine, au-dessus des grandeurs terrestres toujours mobiles et chancelantes ? C’est le sens de ces paroles de l’Écriture, où le roi et le fondateur de la cité que nous célébrons, découvrant aux hommes sa loi, déclare que « Dieu résiste aux superbes et donne sa grâce aux humbles[7] ». Cette conduite toute divine, l’orgueil humain prétend l’imiter, et il aime à s’entendre donner cet éloge :

« Tu sais pardonner aux humbles et dompter les superbes[8] ».

C’est pourquoi nous aurons plus d’une fois à parler dans cet ouvrage, autant que notre plan le comportera, de cette cité terrestre dévorée du désir de dominer et qui est elle-même esclave de sa convoitise, tandis qu’elle croit être la maîtresse des nations.
  1. Marcellinus était un personnage considérable à la cour de l’empereur Honorius. Il fut envoyé en Afrique en 411, pour connaître de l’affaire des Donatistes, qui parvinrent par leurs intrigues à le faire condamner au dernier supplice. L’Eglise le compte parmi ses saints et ses martyrs. Voyez sur Marcellinus (saint Marcellin) les lettres de saint Augustin, notamment la 136e, n. 3, la 138e, n. 20, et la 259e.
  2. Habac. II, 4.
  3. Rom. VIII, 25.
  4. J’ai traduit ces mots, empruntés au Psalmiste, dans le sens indiqué par saint Augustin lui-même en divers écrits. Voyez De Trin., lib. III, cap. 15 ; De gen. ad litt., lib. II, cap. 22.
  5. Psal. XCIII, 15.
  6. Psal. LXI, 9.
  7. Jac. IV, 6 ; I Petr. V, 5.
  8. Énéide, liv. VI, vers 834.