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LA CITÉ DE DIEU.

savoir, que les étoiles ne font pas les événements, mais qu’elles les annoncent, qu’elles sont des signes et non des causes. Je réponds que les astrologues n’en parlent pas de la sorte. Ils ne disent pas, par exemple : Dans telle position Mars annonce un assassin ; ils disent Mars fait un assassin. Je veux toutefois qu’ils ne s’expliquent pas exactement, et qu’il faille les renvoyer aux philosophes pour apprendre d’eux à s’énoncer comme il faut, et à dire que les étoiles annoncent ce qu’ils disent qu’elles font ; d’où vient qu’ils n’ont jamais pu rendre compte de la diversité qui se rencontre dans la vie de deux enfants jumeaux, dans leurs actions, dans leur destinée, dans leurs professions, dans leurs talents, dans leurs emplois, en un mot dans toute la suite de leur existence et dans leur mort même ; diversité quelquefois si grande, que des étrangers leur sont plus semblables qu’ils ne le sont l’un à l’autre, quoiqu’ils n’aient été séparés dans leur naissance que par un très-petit espace de temps, et que leur mère les ait conçus dans le même moment ?

CHAPITRE II.
RESSEMBLANCE ET DIVERSITÉ DES MALADIES DE DEUX JUMEAUX.

L’illustre médecin Hippocrate a écrit, au rapport de Cicéron, que deux frères étant tombés malades ensemble, la ressemblance des accidents de leur mal, qui s’aggravait et se calmait en même temps, lui fit juger qu’ils étaient jumeaux[1]. De son côté, le stoïcien Posidonius, grand partisan de l’astrologie expliquait le fait en disant que les deux frères étaient nés et avaient été conçus sous la même constellation. Ainsi, ce que le médecin faisait dépendre de la conformité des tempéraments, le philosophe astrologue l’attribuait à celle des influences célestes. Mais la conjecture du médecin est de beaucoup la plus acceptable et la plus plausible ; car on comprend fort bien que ces deux enfants, au moment de la conception, aient reçu de la disposition physique de leurs parents une impression analogue, et qu’ayant pris leurs premiers accroissements au ventre de la même mère, ils soient nés avec la même complexion. Ajoutez à cela que, nourris dans la même maison, des mêmes aliments, respirant le même air, buvant la même eau, faisant les mêmes exercices, toutes choses qui, selon les médecins, influent beaucoup sur la santé, soit en bien, soit en mal, ce genre de vie commun a dû rendre leur tempérament si semblable, que les mêmes causes les faisaient tomber malades en même temps. Mais vouloir expliquer cette conformité physique par la position qu’occupaient les astres au moment de leur conception ou de leur naissance, quand il a pu naître sous ces mêmes astres, semblablement disposés, un si grand nombre d’êtres si prodigieusement différents d’espèces, de dispositions et de destinées, c’est à mon avis le comble de l’impertinence. Je connais des jumeaux qui non-seulement diffèrent dans la conduite et les vicissitudes de leur carrière, mais dont les maladies ne se ressemblent nullement. Il me semble qu’Hippocrate rendrait aisément raison de cette diversité en l’attribuant à la différence des aliments et des exercices, lesquels dépendent de la volonté et non du tempérament ; mais quant à Posidonius ou à tout autre partisan de l’influence fatale des astres, je ne vois pas ce qu’il aurait à dire ici, à moins qu’il ne voulût abuser de la crédulité des personnes peu versées dans ces matières. On essaie de se tirer d’affaire en arguant du petit intervalle qui sépare toujours la naissance de deux jumeaux, d’où provient, dit-on, la différence de leurs horoscopes[2] ; mais ou bien cet intervalle n’est pas assez considérable pour motiver la diversité qui se rencontre dans la conduite des jumeaux, dans leurs actions, leurs mœurs et les accidents de leur vie, où il l’est trop pour s’accorder avec la bassesse ou la noblesse de condition commune aux deux enfants, puisqu’on veut que la condition de chacun dépende de l’heure où il est né. Or, si l’un naît immédiatement après l’autre, de manière à ce qu’ils aient le même horoscope, je demande pour eux une parfaite conformité en toutes choses, laquelle ne peut jamais se rencontrer dans les jumeaux les plus semblables ; et si le second met un si long temps à venir après le premier, que cela change l’horoscope, je demande ce qui ne peut non plus se rencontrer en deux jumeaux, la diversité de père et de mère.

  1. Ce fait curieux ne se rencontre dans aucun des écrits qui nous sont restés, soit de Cicéron, soit d’Hippocrate. Un savant commentateur de saint Augustin, E. Vivès, conjecture que le passage en question devait se trouver dans le petit écrit de Cicéron, De fato, qui n’est parvenu jusqu’à nous qu’incomplet et mutilé.
  2. Horoscope, remarque saint Augustin, veut dire observation de l’heure, horæ notatio (en grec ὡροσκοπεῖον, d’ὥρα, heure, et σκοπεῖν, observer).