encore reconnaître que, même « quand nous serons semblables à lui » alors que « nom le verrons tel qu’il est ( Jean, III, 2 ) » — et celui qui l’a dit ne perdait certainement pas de vue la différence — qu’alors même, dis-je, nous ne serons point égaux à lui en nature. Car la nature créée est toujours inférieure à celle qui l’a faite. Sans doute, notre verbe ne sera plus faux, puisque nous ne mentirons plus et ne serons plus trompés ; peut-être encore nos pensées ne seront-elles plus mobiles, passant et repassant d’un objet à un autre ; peut-être embrasserons-nous d’un coup d’œil tous les objets de nos connaissances. Néanmoins, tout cela étant— si cela doit être — la créature qui était susceptible d’être formée aura été formée, pour qu’il ne lui manque rien de la forme à laquelle elle devait parvenir ; mais on ne pourra l’égaler à cette simplicité, où rien de susceptible d’être formé n’a été formé où réformé ; et qui n’étant ni sans forme ni formée, est, là, une substance éternelle et immuable.
CHAPITRE XVII.
COMMENT L’ESPRIT- SAINT EST APPELÉ CHARITÉ. EST-IL SEUL CHARITÉ ? CHARITÉ EST LE NOM PROPRE QUE LES ECRITURES DONNENT A L’ESPRIT-SAINT.
27. Nous avons assez parlé du Père et du Fils, autant qu’il nous a été donné de voir à travers ce miroir et en cette énigme. Maintenant, avec cette même aide de Dieu, nous avons à parler du Saint-Esprit. D’après les saintes Ecritures, il n’est pas du Père seul, ni du Fils seul, mais des deux ; et c’est pourquoi il éveille en nous l’idée de l’amour commun, par lequel le Père et le Fils s’aiment mutuellement. Mais la divine parole ne nous offre pas seulement des vérités faciles ; afin d’exercer notre intelligence et d’enflammer notre ardeur, elle nous oblige à approfondir des choses obscures que le mystère enveloppe et qu’il faut tirer du mystère. L’Ecriture ne dit donc pas : l’Esprit-Saint est charité. Si elle l’eût dit, elle eût déchiré le voile en grande partie ; mais elle dit : « Dieu est amour Jean, IV, 16 ) ». Elle nous laisse donc dans l’incertitude et nous force à chercher si c’est Dieu le Père qui est charité, ou Dieu le Fils, ou Dieu le Saint-Esprit, ou la Trinité Dieu. Car nous ne disons pas que si Dieu est appelé charité, ce n’est pas parce que la charité même est une substance qui mérite le nom de Dieu ; mais nous dirons au contraire que la charité est un don de Dieu, dans le sens où le Psalmiste lui dit : « Vous êtes ma patience (Ps., LXX, 4 ). » : ce qui ne signifie pas que notre patience soit la substance de Dieu, mais qu’elle nous vient de lui, comme le même Psalmiste le dit ailleurs : « Car ma patience vient de lui (Ps., LXI, 6) ». Les paroles même de l’Ecriture écartent donc cette interprétation. En effet : « vous êtes ma patience », équivaut à « Seigneur, vous êtes mon espérance ( Ps., XC, 9 ) » ; ou à : « mon Dieu, ma miséricorde (Ps., LVIII, 18 ) », et à beaucoup d’autres locutions de ce genre. Or, on ne dit pas : Seigneur, ma charité ; ni vous êtes ma charité ; ni : Dieu ma charité ; mais : « Dieu est charité », comme on dit : « Dieu est Esprit (Jean, IV, 24) ». Que celui qui ne saisit pas ces distinctions demande l’intelligence à Dieu mais qu’il n’exige pas de nous d’autres explications : car nous ne pouvons rien dire de plus clair.
28. Donc, « Dieu est charité ». Mais on demande s’il s’agit ici du Père, ou du Fils, ou du Saint-Esprit, ou de la Trinité elle-même, puisqu’il n’y a qu’un seul Dieu et non trois dieux. Nous avons déjà dit plus haut, dans cet ouvrage, qu’il ne faut pas voir l’image de la Trinité, qui est Dieu, dans les trois choses que nous avons indiquées dans la trinité de notre âme, en ce sens que le Père serait la mémoire des trois personnes, le Fils l’intelligence et le Saint-Esprit la charité de ces trois mêmes personnes, comme si le Père ne comprenait pas et n’aimait pas par lui-même, mais que le Fils comprît pour lui, que le Saint-Esprit aimât pour lui, tandis que lui, le Père, serait simplement sa mémoire et leur mémoire ; que le Fils ne se souviendrait et n’aimerait pas par lui-même, mais que le Père se souviendrait pour lui, que le Saint-Esprit aimerait pour lui, tandis qu’il serait sa propre intelligence et leur intelligence ; et qu’enfin le Saint-Esprit ne se souviendrait ni ne comprendrait par lui-même, mais que le Père se souviendrait pour lui, que le Fils comprendrait pour lui tandis qu’il serait son propre amour et leur amour : tout au contraire, on doit entendre que les trois personnes possèdent ces trois choses et les ont chacune dans sa propre nature. De plus il n’y a point, là, de différence