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mille exemples de déception dans les yeux ; l’homme qui dit : Je sais que je vis, n’a pas às’en émouvoir, parce que pour se tromper il faut vivre. Mais si la science humaine se borne à de telles certitudes, elle est bien petite ; à moins que ces certitudes ne soient si multipliées dans chaque ordre de choses, qu’elles cessent d’être en petite quantité et qu’elles tendent même à un nombre indéfini. En effet, l’homme qui dit : Je sais que je vis, n’affirme qu’une chose ; mais s’il dit : Je sais que je sais que je vis, il en affirme déjà deux ; et à ces deux choses s’en joint une troisième, la connaissance qu’il en a. Il pourra y en ajouter une quatrième, une cinquième et ainsi de suite indéfiniment, s’il suffit à la tâche. Mais comme il ne peut ni embrasser une quantité innombrable par des additions de détail, ni parler indéfiniment, il y a une chose qu’il comprend et exprime en toute certitude, c’est que cela est vrai et que le nombre est tellement au-dessus du calcul qu’il lui est impossible de comprendre et d’exprimer un nombre infini. On peut en dire autant des certitudes de la volonté. Qui peut en effet, sans effronterie, dire : Tu te trompes, à l’homme qui dit : Je désire être heureux ? Et s’il dit : Je sais que je le veux, et je sais que je le sais : déjà à deux choses, il en ajoute une troisième, la connaissance qu’il a de ces deux choses ; puis une quatrième ; qu’il sait qu’il sait ces deux choses, et ainsi de suite, indéfiniment. Egalement si quelqu’un dit : Je ne veux pas me tromper ; soit qu’il se trompe, soit qu’il ne se trompe pas, ne sera-t-il pas toujours vrai qu’il ne veut pas se tromper ? Et qui portera l’insolence jusqu’à lui dire : Peut-être en cela te trompes-tu, puisque, quelle que puisse être son erreur, il ne se trompe pas dans la volonté de ne pas se tromper ? Et s’il dit qu’il sait cela, il peut y ajouter une quantité quelconque de choses à lui connues, et bientôt il s’apercevra que le nombre en est indéfini. En effet, celui qui dit : Je ne veux pas me tromper et je sais que je ne le veux pas, et je sais que je sais cela, indique par le fait un nombre indéfini, quoique difficile à exprimer. On pourrait encore opposer d’autres exemples aux académiciens qui affirment que l’homme ne peut rien savoir. Mais nous devons nous borner, surtout parce que ce n’est point là le sujet de ccl ouvrage. Dans le premier moment de notre conversion, nous avons écrit trois livres contre les académiciens ; celui qui pourra et voudra les lire et les bien comprendre, ne se laissera certainement point ébranler par les nombreux arguments que l’on a imaginés pour contester la possibilité de percevoir la vérité (Voir tome III ). Car comme il y a deux espèces de connaissances, celle des objets que l’âme perçoit par l’entremise des sens, et celle des choses qu’elle perçoit par elle-même, ces philosophes ont débité une foule de niaiseries contre les sens du corps ; mais ils n’ont pu révoquer en doute que l’âme perçoive par elle-même et en toute certitude certaines vérités, comme celle dont je parlais tout à l’heure : Je sais que je vis. Mais à Dieu ne plaise que nous doutions de la vérité des perceptions acquises par les sens ! car c’est par eux que nous connaissons l’existence du ciel et de la terre, et tout ce que nous savons des objets qu’ils renferment, dans la mesure où l’a voulu Celui qui les a créés et nous a créés nous-mêmes. Loin de nous également la pensée de nier ce que nous avons appris par le témoignage des autres ! Autrement nous ignorerions qu’il y a un Océan ; nous ne connaîtrions pas l’existence de certaines contrées, de certaines villes renommées ; nous ne saurions rien des hommes d’autrefois, rien de leurs actions mentionnées par l’histoire ; nous resterions dans l’ignorance des nouvelles qui nous viennent chaque jour de tout côté, et dont la certitude repose sur des indices concordants et dignes de foi ; enfin nous ne saurions pas même où nous sommes, ni de qui nous sommes nés, puisque nous avons appris tout cela par le témoignage des autres. Or si ce serait là le comble de l’absurdité, il faut donc reconnaître que la somme de nos connaissances s’est bien augmentée, non-seulement par nos propres sens, mais par ceux des autres. 22. Ainsi ces diverses connaissances que l’âme perçoit ou par elle-même, ou par les sens du corps, ou par le témoignage des autres, elle les renferme dans le trésor de sa mémoire, et c’est de là qu’est engendré le Verbe vrai, quand nous disons ce que nous savons, mais verbe antérieur à tout son, à toute pensée de son. Alors le verbe est parfaitement semblable à l’objet connu, qui engendre même son image, puisque la vision de la pensée naît de la vision de la science :