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il faut trouver une solution unique à ce double point de la question : « Nous voyons maintenant à travers un miroir », et : « en énigme ». Il ne doit en effet avoir qu’une solution, puisque l’Apôtre dit tout d’un trait : « Nous voyons maintenant à travers un miroir en énigme ». Il me semble donc que, comme par miroir il entend une image, par énigme il entend une ressemblance obscure et difficile à saisir. Ainsi par miroir et par énigme on peut supposer que l’Apôtre indique des ressemblances quelconques, les plus propres à nous faire con— naître Dieu autant que possible ; et aucune de ces ressemblances n’atteint mieux ce but que celle de l’homme, qui est appelé à juste titre l’image de Dieu. Qu’on ne s’étonne donc pas de la difficulté que nous éprouvons à voir d’une manière quelconque par le moyen qui nous est accordé ici-bas, c’est-à-dire à travers un miroir en énigme. Si nous pouvions voir facilement, le mot d’énigme n’aurait plus de sens. Et voilà la plus grande énigme : que nous ne voyions pas ce qu’il nous est impossible de ne pas voir. En effet qui ne voit pas sa pensée ? Et pourtant qui voit sa pensée, je ne dis pas de l’œil du corps, mais de l’œil intérieur ? Qui ne la voit pas et qui la voit ? Car la pensée est une certaine vision de l’âme qui a lieu ou en présence des objets matériels qui frappent nos yeux, ou en leur absence, quand la pensée voit leurs images, ou quand on songe à des objets qui ne sont ni corps, ni images de corps, comme les vertus ou les vices ou la pensée elle-même ; ou quand on reçoit des doctrines ou des sciences libérales, ou quand on s’élève jusqu’aux causes et aux raisons supérieures de toutes choses renfermées dans la nature immuable, ou enfin quand on pense à des choses mauvaises, chimériques, fausses, avec ou sans l’assentissement de la volonté.


CHAPITRE X.

DE LA PAROLE DE L’ÂME, DANS LAQUELLE NOUS VOYONS LE VERBE DE DIEU COMME A TRAVERS UN MIROIR ET EN ÉNIGME.

17. Maintenant, parlons des choses connues auxquelles nous pensons, et connues même quand nous n’y pensons pas, soit qu’elles appartiennent à la science contemplative, qui est proprement la sagesse, ou à la science active, qui conserve le nom de science, d’après la distinction que j’ai établie plus haut. Car l’une et l’autre appartiennent à la même âme et ne forment qu’une seule image de Dieu. Quand on s’occupe plus spécialement et exclusivement de celle qui est inférieure, on ne doit pas l’appeler image de Dieu, bien qu’on y découvre quelque ressemblance avec la Trinité souveraine, comme nous l’avons montré dans le livre treizième (Ch. I, 20. ). Ici, nous parlons de la science de l’homme dans son ensemble, de celle qui renferme tous les objets de connaissance, lesquels sont vrais, puis qu’autrement ils ne seraient pas connus. En effet, personne ne connaît ce qui est faux autrement que parce qu’il sait que cela c’est faux, et cette connaissance est vraie, parce qu’il est vrai que cela est faux. Nous parlons donc des choses connues auxquelles nous pensons, et connues même quand nous n’y pensons pas. A coup sur, si nous voulons les exprimer, nous ne le pouvons qu’après y avoir pensé. Car bien qu’il n’y ait pas de son de parole, celui qui pense parle certainement dans son cœur. C’est pourquoi on dit au livre de la Sagesse : « Ils ont dit, pensant follement en eux-mêmes (Sag., II, 1 ) ». Le sens de ces mots : « Ils ont dit en eux-mêmes », est expliqué par cette addition : « Pensant ». Il y a quelque chose d’analogue dans l’Evangile, quand certains scribes entendant le Seigneur dire au paralytique : « Mon fils, aie confiance, tes péchés te sont remis ; ils dirent en eux-mêmes : Celui-ci blasphème ».Or, que signifient ces mots « Ils dirent en eux-mêmes », sinon : ils dirent dans leur pensée ? Puis l’Evangéliste continue : « Mais comme Jésus avait vu leurs pensées, il dit : Pourquoi pensez-vous mal en vos cœurs (Matt., IX, 2-4 ) ? » C’est saint Matthieu qui parle. Saint Luc raconte le même fait en ces termes : « Les scribes et les pharisiens commencèrent à réfléchir, disant : Quel est celui-ci qui profère des blasphèmes ? Qui peut remettre les péchés, sinon Dieu seul ? Mais dès que Jésus connut leurs pensées, il prit la parole et leur dit : Que pensez-vous en vos cœurs (Luc, V, 21, 22 ) ? » Ces expressions : « Ils réfléchirent en disant », ont le même sens que celles du livre de la Sagesse : « Ils ont dit pensant ». Là comme ici on fait voir que l’homme parle en lui-même et dans son cœur, c’est-à-dire parle en pensant. En effet, ces pharisiens parlaient en eux-mêmes et on leur dit : « Que pensez-vous ? » Et à propos de ce riche dont les