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en latin, ne laisse aucun doute sur ce point. Là, le miroir, speculum, qui reproduit les images des choses, se rend par un mot très-différent de specula, lieu élevé d’où notre vue porte au loin ; et il est véritable que l’Apôtre tire l’expression speculantes de speculum, et non de specula. Quant à ces expressions : « Nous sommes transformés en la même image », il est clair qu’il entend parler de l’image de Dieu qu’il appelle la même, c’est-à-dire celle-là même que nous contemplons, parce que cette image est aussi la gloire de Dieu, comme il le dit en un autre endroit : « Pour l’homme, il ne doit point voiler sa tête, parce qu’il est l’image et la gloire de Dieu( I Cor., XI, 7 )  » : texte que nous avons déjà discuté dans le livre douzième. « Nous sommes transformés », ajoute-t-il, nous quittons notre forme pour en prendre une autre, nous passons de la forme obscure à la forme lumineuse ; parce que notre forme, même obscure, est l’image de Dieu, et par là même, sa gloire : cette forme dans laquelle nous avons été créés hommes, supérieurs aux autres animaux. Car c’est de la nature humaine qu’il est dit : « Pour l’homme, il ne doit point voiler sa tête, parce qu’il est l’image et la gloire de Dieu ». Cette nature, la plus parfaite parmi les choses créées, une fois purifiée de son impureté par son Créateur, passe d’une forme hideuse à une forme éclatante de beauté. Au sein même de son impiété, sa valeur se laisse d’autant mieux voir que son vice est plus condamnable. Voilà pourquoi l’Apôtre ajoute : « de clarté en clarté » ; de la gloire de la création à la gloire de la justification. Du reste, ces expressions : « de clarté en clarté », peuvent aussi s’entendre autrement : de la gloire de la foi à la gloire de la claire vue ; de la gloire d’être fils de Dieu à la gloire de devenir semblables à lui, quand nous le verrons tel qu’il est (I Jean, III, 2 ). Enfin par ces mots : « Comme par l’Esprit du Seigneur », l’Apôtre indique que c’est à la grâce de Dieu que nous devons l’avantage d’une si heureuse transformation.


CHAPITRE IX.

DE L’ÉNIGME ET DES LOCUTIONS FIGURÉES.

15. Tout ceci se rapporte à ce que dit l’Apôtre : que nous voyons « à travers un miroir ». Quant aux mots suivants : « en énigme », ils sont inintelligibles pour la multitude illettrée qui ne connaît pas ces espèces de locutions que les grecs appellent tropes, expression qui est même passée de leur langue dans la nôtre. Car comme nous disons plus souvent schemata que figure, ainsi employons-nous plus souvent tropi que modi. Mais exprimer en latin les noms particuliers des figures ou tropes dans leur sens spécial, ce serait chose très-difficile et tout à fait inusitée. De là, il est arrivé que quelques-uns de nos interprètes ne voulant pas traduire littéralement ces paroles de l’apôtre : « Ce qui a été dit par allégorie (Gal., IX, 24 ) » ont eu recours à cette périphrase : « Ce qui donne à entendre une chose pour une autre ». Or, il y a plusieurs espèces de ce trope qu’on appelle l’allégorie, et une entre autres qui a le nom d’énigme. Mais il est nécessaire que la définition du mot générique renferme toutes les espèces. Par conséquent, comme tout cheval est animal, tandis que tout animal n’est pas cheval ; de même toute énigme est allégorie, mais toute allégorie n’est pas énigme. Qu’est-ce donc qu’une allégorie, sinon un trope où l’on donne à entendre une chose pour une autre, comme dans ce passage de l’épître aux Thessaloniciens : « Ne dormons donc point comme tous les autres, mais veillons et soyons sobres. Car ceux qui dorment, dorment de nuit ; et ceux qui s’enivrent, s’enivrent de nuit ; mais nous qui sommes du jour, soyons sobres (I Thess., V, 6-8 ) ? » Toutefois ici l’allégorie n’est point énigme : car on en saisit la pensée, à moins d’un grand défaut d’intelligence. Mais l’énigme, pour le dire en peu de mots, est une allégorie obscure, comme celle-ci, par exemple : « La sangsue a trois filles ( Prov., XXX, 15 ) », et autres de ce genre. Toutefois une allégorie dont parle l’Apôtre n’est pas en paroles, mais en fait : il parle des deux fils d’Abraham, l’un né de la servante, l’autre de la femme libre — ce qui n’est pas une parole, mais un fait — et veut désigner par là les deux Testaments. Jusqu’à cette explication, le texte était obscur ; par conséquent, ce qui était allégorie — à s’en tenir au nom générique — pouvait aussi être appelé énigme. 16. Mais comme les illettrés qui ne connaissent pas les tropes, ne sont pas les seuls à demander ce qu’entend l’Apôtre quand il dit que nous voyons en énigme, que les hommes instruits demandent aussi à savoir ce que c’est que cette énigme dans laquelle nous voyons ici-bas,