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né. Egalement, comme l’Esprit-Saint est sagesse procédant de sagesse, il n’a pas le Père pour mémoire, le Fils pour intelligence et lui-même pour amour : car il ne serait pas sage, si un autre se souvenait pour lui, si un autre comprenait pour lui, et qu’il n’eût à lui-même que son propre amour. Mais il possède lui-même ces trois choses, et il les possède en ce sens qu’elles sont lui. Toutefois il les tient d’où il procède.
13. Mais qui donc, parmi les hommes, peut comprendre cette sagesse par laquelle Dieu connaît toutes choses, de telle sorte que ce que nous appelons passé n’est point passé pour lui, qu’il n’a point à attendre ce qui doit venir, mais que le passé et le futur sont pour lui la même chose que le présent ; qu’il ne voit pas les choses une à une ; que sa pensée ne passe pas d’une chose à une autre, mais qu’il embrasse tout à la fois d’un seul regard : quel homme, dis-je, comprend cette sagesse, qui est tout à la fois prévoyance et science, alors que nous ne comprenons pas même la nôtre ? Nous pouvons, il est vrai, voir d’une manière quelconque ce qui est présent à nos sens ou à notre intelligence ; mais ce qui a cessé de leur être présent, nous ne le connaissons plus que par la mémoire, si nous ne l’avons pas oublié. Nous ne jugeons pas le passé par l’avenir, mais nous conjecturons l’avenir d’après le passé, et encore d’une manière peu sure. En effet, quand nous prévoyons certaines pensées, avec plus de clarté et plus de certitude, parce qu’un avenir plus prochain les met, pour ainsi dire, sous nos yeux, nous ne le pouvons, dans la mesure où nous le pouvons, que par l’action de la mémoire, faculté qui semble appartenir au passé plutôt qu’à l’avenir. Nous en avons l’expérience dans les paroles ou dans les chants que nous reproduisons de mémoire dans leur enchaînement : car nous n’en viendrions pas à bout, si nous ne prévoyions en pensée ce qui doit suivre. Et cette prévision, pourtant, n’est pas l’effet de la prévoyance, mais bien de la mémoire : puisque, jusqu’à la fin de ce que nous avons à dire ou à chanter, tout sera prévu, aperçu à l’avance. Cependant, dans ce cas, on ne dit pas que nous parlons ou que nous chantons par prévoyance, mais par mémoire ; et chez ceux qui ont, sous ce rapport, une faculté extraordinaire, c’est la mémoire qu’on vante et non la prévoyance. Tout cela se fait en notre âme ou par notre âme, nous le savons, nous en avons la servitude ; mais comment cela se fait-il ? Plus nous cherchons à le savoir, plus la parole nous fait défaut, et notre attention elle-même ne saurait se soutenir jusqu’à nous le faire, sinon exprimer, du moins comprendre. Pensons-nous que notre esprit si infirme puisse jamais comprendre que la Providence divine est la même chose que la mémoire et son intelligence, cette Providence qui ne pense pas en détail, mais embrasse tout l’objet de ses connaissances d’un regard unique, éternel, immuable et au dessus de toute expression ? Au milieu de ces difficultés et de ces angoisses, c’est le cas de crier au Dieu vivant : « Votre science est merveilleusement élevée au-dessus de moi, et je n’y pourrai atteindre (Ps., CXXXVIII, 6 ). » Je comprends, d’après moi, combien est admirable et incompréhensible cette science par laquelle vous m’avez créé, puisque je ne puis pas même me comprendre, moi que vous avez fait. Cependant mon cœur s’est enflammé dans ma méditation (Ps., XXXVIII, 4 ), afin de chercher sans cesse votre présence (Ps., CIV, 4 ).


CHAPITRE VIII.

EN QUEL SENS L’APOTRE DIT QUE NOUS VOYONS DIEU ICI-BAS A TRAVERS UN MIROIR.

14. Je sais que la sagesse est une substance immatérielle et une lumière dans laquelle on voit ce que ne voit pas l’œil charnel. Et cependant cet homme si grand, si spirituel dit « Nous voyons maintenant à travers un miroir « en énigme, mais alors nous verrons face à face (I Cor., XIII, 12 ). ». Si nous cherchons à savoir quel est ce miroir et ce qu’il est, aussitôt une pensée nous frappe : dans un miroir on ne voit qu’une image. Et voilà à quoi ont tendu nos efforts : à nous faire voir, d’une manière quelconque à travers l’image, qui n’est autre que nous-mêmes, comme à travers un miroir, Celui par qui nous avons été faits. C’est encore là le sens de ce que dit ailleurs le même apôtre : « Pour nous, contemplant à face découverte la gloire du Seigneur, nous sommes transformés en la même image de clarté en clarté, comme par l’Esprit du Seigneur (II Cor., III, 18 ) ». Contemplant, dit-il, speculantes, c’est-à-dire voyant à travers un miroir, per speculum, et non d’un point d’observation, de specula. Le texte grec, duquel les lettres de l’Apôtre ont été traduites