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permettait pas de fixer le regard de notre âme pour la chercher ; nous nous contentions de voir d’une manière quelconque qu’il ne fallait point supposer, là, une étendue matérielle où deux ou trois fussent plus grands qu’un. Puis en arrivant à l’amour, comme l’Ecriture Sainte dit que Dieu est amour ( Jean, IV, 16 ), nous avons commencé à entrevoir la Trinité, c’est-à-dire celui qui aime, celui qui est aimé et l’amour. Mais comme cette ineffable lumière éblouissait nos yeux, et nous faisait sentir l’impuissance de notre âme à sonder ce mystère, pour soulager notre attention et nous reposer entre le début elle terme, nous nous sommes rabattus sur un sujet plus à notre portée, sur l’étude de notre âme, selon laquelle l’homme a été créé à l’image de Dieu (Gen., I, 27 ). Et afin que les perfections invisibles de Dieu, qui ont été faites par les choses, nous fussent rendues intelligibles(Rom., I, 20 ), nous nous sommes arrêtés, du neuvième au quatorzième livre, sur cette créature qui est nous. Enfin après avoir autant et plus qu’il ne fallait peut-être, exercé notre intelligence sur des objets inférieurs, nous désirons nous élever jusqu’à la contemplation de cette souveraine Trinité qui est Dieu, et nous ne le pouvons pas. En effet si nous voyons avec une certitude entière des trinités formées, soit des corps extérieurs, soit de la pensée qui résulte de la sensation qu’ils nous impriment ; ou quand des impressions naissent dans l’âme, indépendamment des sens corporels, comme la foi, comme les vertus destinées à régler notre vie, que la raison voit clairement et qui sont du domaine de la science ; ou quand l’âme elle-même, par laquelle nous connaissons tout ce que nous disons avec vérité connaître, se connaît elle-même, ou quand elle voit quelque chose qu’elle n’est pas, quelque chose d’éternel et d’immuable : si, dis-je, nous voyons là certaines trinités avec certitude, parce qu’elles s’opèrent en nous, ou sont en nous, quand nous nous rappelons, quand nous voyons ou voulons ces choses, voyons-nous de la même manière la Trinité divine ? Voyons-nous par l’intellect Dieu parlant, puis son Verbe — c’est-à-dire le Père et le Fils — puis l’amour procédant de l’un et de l’autre, commun à l’un et à l’autre, c’est-à-dire le Saint-Esprit ? Serait-ce que nous voyons ces trinités propres à nos sens ou à nos âmes plutôt que nous ne les croyons, et que nous croyons que Dieu est Trinité plutôt que nous ne le voyons ? S’il en est ainsi, ou les perfections invisibles de Dieu ne nous sont pas rendues intelligibles par les choses qui ont été faites, ou, si nous en voyons quelques-unes, nous n’y découvrons pas la Trinité, en sorte qu’il y a des choses que nous voyons et d’autres que nous devons croire sans voir. Or, dans le livre huitième, nous avons démontré que nous voyons le bien immuable, qui n’est pas nous, et le quatorzième nous l’a rappelé, alors que nous parlions de la sagesse que Dieu donne à l’homme. Pourquoi donc n’y reconnaissons-nous pas la Trinité ? Serait-ce que la sagesse qui s’appelle Dieu, ne se comprend pas, ne s’aime pas elle-même ? Qui osera le dire ? Ou qui ne voit que là où il n’y a pas rie science, il ne peut y avoir de sagesse ? Ou bien devons-nous croire que la sagesse qui est Dieu connaît d’autres choses et s’ignore elle-même, ou aime d’autres choses et ne s’aime pas elle-même ? S’il est absurde et impie de dire ou de penser ces choses, voilà donc la Trinité, c’est-à-dire la sagesse, la connaissance de soi, et l’amour de soi. C’est en effet ainsi que nous avons découvert une trinité dans l’homme l’âme, la connaissance qu’elle a d’elle-même, et l’amour dont elle s’aime.


CHAPITRE VII.

IL N’EST PAS FACILE D’ENTREVOIR LA TRINITÉ DIVINE D’APRÈS LES TRINITÉS DONT NOUS AVONS PARLÉ.


11. Mais ces trois choses sont dans l’homme et ne sont pas l’homme lui-même ; car l’homme, suivant la définition des anciens, est un animal doué de raison et sujet à la mort. Elles sont donc la meilleure partie de l’homme, mais ne sont pas l’homme. Et une seule personne, c’est-à-dire chaque homme pris en particulier, les possède toutes les trois dans son âme. Que si nous définissons l’homme : une substance raisonnable composée d’une âme et d’un corps, il est évident que l’homme a une âme qui n’est pas corps, et un corps qui n’est pas âme. Conséquemment ces trois choses sont dans l’homme, ou à l’homme, mais ne sont pas l’homme. Maintenant, abstraction faite du corps et à considérer l’âme seule, l’intelligence en est une partie, elle en est comme la tête si l’on veut, ou l’œil,