Page:Augustin - Œuvres complètes, éd. Raulx, tome XII.djvu/536

Cette page n’a pas encore été corrigée

a été faite à l’image de Dieu en ce sens qu’elle peut user de sa raison ou de son intelligence pour comprendre Dieu et le contempler, il est évident que dès l’instant qu’elle a commencé à être cette si grande et si merveilleuse nature, elle ne cessera pas de l’être, soit que cette image soit affaiblie et presque réduite à rien, soit qu’elle s’obscurcisse ou se déforme, soit qu’elle reste pure et belle. C’est cette difformité et cette dégradation que l’Ecriture déplore, quand elle dit : « Quoique l’homme marche en image (in imagine), cependant il s’agite en vain, il amasse des trésors et ne sait qui les recueillera après lui (Ps., XXXVIII ) ». Le psalmiste n’attribuerait pas la vanité à l’image de Dieu, s’il ne la voyait déformée. Et pourtant il laisse assez voir que cette difformité ne saurait lui ôter le caractère d’image de Dieu, puisqu’il dit : « Quoique l’homme marche en image (in imagine) ». Ainsi des deux côtés la pensée est juste : comme on a dit : « Quoique l’homme marche en image, cependant il s’agite en vain » ; de même on peut dire : Quoique l’homme s’agite en vain, cependant il marche en image. En effet, quoique sa nature soit grande, elle a cependant pu être viciée, et quoiqu’elle ait pu être viciée parce qu’elle n’est pas la nature souveraine, cependant, : étant capable de connaître la nature souveraine et d’y participer, elle est une grande nature. Cherchons donc, dans cette image de Dieu, une certaine trinité propre (sui generis), avec l’aide de Celui qui nous a faits à son image ; car autrement nous ne pourrions entreprendre ces recherches d’une manière utile, ni rien découvrir selon la sagesse qui vient de lui. Mais si le lecteur a bien retenu ce que nous avons dit de l’âme ou de l’intelligence humaine dans les livres précédents, notamment dans le dixième, ou s’il veut bien se reporter à ces passages et les relire attentivement, le point qui nous occupe, malgré son importance, n’exigera pas de trop longs développements. 7. Nous avons donc dit, entre autres choses, dans le livre dixième, que l’âme humaine se connaît elle-même (Ch. VII. ). En effet, l’âme ne connaît rien autant que ce qui lui est présent ; or rien n’est plus présent à l’âme que l’âme même. Nous avons encore donné d’autres preuves, aussi nombreuses que nous l’avons jugé à propos, et propres à établir cette vérité avec toute certitude.


CHAPITRE V.

L’AME DES ENFANTS SE CONNAÎT-ELLE ?

Mais que dire de l’âme de l’enfant encore en bas âge et plongé dans cette profonde ignorance de toutes choses qui inspire une si vive horreur à tout homme parvenu a un degré quelconque de connaissance ? Faut-il croire qu’elle se connaît, mais qu’absorbée par les impressions des sens d’autant plus vives qu’elles sont plus nouvelles, si elle ne peut s’ignorer du moins, elle n’est pas capable de réfléchir ? On peut conjecturer de la force qui l’entraîne vers les objets sensibles par le seul fait de son avidité à voir la lumière : avidité telle que si, par inattention ou par imprévoyance des suites, on place une lumière pendant la nuit près du lit où repose un enfant, dans un endroit où il puisse jeter obliquement les yeux sans pouvoir tourner la tête, son regard s’y fixe avec tant de ténacité que quelquefois il en contracte ce que nous appelons le strabisme, les yeux conservant la direction imprimée par l’habitude à cet organe encore tendre et délicat. Ainsi en est-il des autres sens ; ces jeunes âmes s’y portent avec toute l’impétuosité que permet leur âge, s’y concentrent, pour ainsi dire, n’ont de répulsion que pour ce qui blesse la chair, d’attrait que pour ce qui la flatte. Quant à leur intérieur, elles n’y songent pas, et il n’est pas possible de les y faire songer : car elles ne comprennent pas encore la valeur d’un avertissement, puisqu’elles ignorent le sens des mots aussi bien que tout le reste, et que c’est surtout par des mots qu’un avertissement se manifeste. Du reste, nous avons fait voir dans le livre précité ( Liv., X, ch. V. ) qu’il y a une différence entre ne pas se connaître et ne pas penser à soi. 8. Mais laissons-là le jeune âge à qui on ne peut demander compte de ce qui se passe en lui et dont nous avons nous-même complètement perdu le souvenir. Qu’il nous suffise de savoir avec certitude que puisque l’homme peut réfléchir sur la nature de son âme et découvrir la vérité, il ne la découvrira qu’en lui. Or, il découvrira, non ce qu’il ignorait, mais ce à quoi il ne pensait pas. Car que saurons-nous, si nous ne savons pas ce qui est dans notre